samedi 17 novembre 2018

Dérapage ! Griveaux cite Maurras


La dernière injure, 21 novembre 1952, n°218

La Radiodiffusion française a informé ses auditeurs de la mort de Charles Maurras, « condamné pour avoir dénoncé des patriotes. » Des instructions avaient sans doute été données pour que l'annonce ait un caractère d'objectivité strictement républicaine. De toutes les calomnies officielles, l'informateur a choisi le plus ignoble pour mieux tuer l'ennemi mort et bien rappeler à tous les Français qui auraient tendance à l'oublier, que la IVe République, née chétive dans la peur, survit dans le mensonge, qu'elle n'a commis des juges que pour l'exercice de ses vengeances personnelles, que le gang des épurateurs parvenus, acculé dans la forfaiture, englué de compromission, se voit réduit à la douloureuse extrémité de piétiner un mort pour sauver son petit restant de bénéfice.
Il n'y a plus en France un honnête homme averti pour croire encore à cette énorme absurdité d'un Maurras germanophile et dénonciateur. Il s'est pourtant trouvé des hommes réputés honnêtes et assurément avertis pour cautionner de leur silence un mensonge qui, d'une façon ou de l'autre, arrangeait leurs affaires ; il s'est trouvé des couards distingués, de grandes âmes éperdues d'impartialité confortable pour larmoyer bruyamment sur des injustices lointaines, signer des pétitions inoffensives au nom d'une conscience universelle qui n'engage à rien et se taire devant Maurras injurié. Un vieillard si droit dans ses chaînes, une vérité si criante sous le bâillon, le spectacle est gênant.
Ainsi la République, aux funérailles de son ennemi, a jeté sur le cercueil une dernière pelletée de boue. Bravo. L'ennui c'est que Maurras continue. Il laisse derrière lui deux ou trois vérités bien portantes que nuls tribunaux d'exception ne réduiront à merci, quelque prix qu'on y mette. Le semeur est mort, ayant vidé son sac, et le blé lèvera.
Chroniques d’Aspects de la France
La République et ses Peaux-Rouges, Via Romana, 2012

dimanche 4 novembre 2018

Armistice


Vous savez que la mort de Louis s'en alla très malicieusement frapper son père dans une chambre d'hôtel, en Suisse, au plus haut de la neutralité hospitalière, 1 160 m au-dessus de la mêlée. D'un commun accord les belligérants se débarrassaient ainsi de leurs prisonniers invalides. Un an plus tard, sous contrôle d'une commission paritaire, la Suisse elle-même obtint le pouvoir de renvoyer dans leurs foyers tous ceux qui seraient jugés définitivement inaptes à peser tant soit peu sur le déroulement des hostilités. Les joies du retour sont douces-amères dans le convoi des bouches inutiles. A la gare de Lyon ni fleurs ni Marseillaise. Accueil charitable et scrupuleusement administratif. Marc ayant préféré nous prévenir sans préciser la date fit le chemin tout seul, assez lentement je suppose. Avant peu en effet je soupçonnerais l'affreuse idée qui lui trottait dans la tête à savoir qu'il rentrait chez lui comme un homme qui eût fait une fugue pour se dérober au combat, et pire encore : il se revoyait le 8 août 14 expédier à son fils l'autorisation de mourir à sa place.
Il sera bientôt très surpris, confondu, d'avoir mérité une citation. Cette nouvelle je crois le rassura sur son cas mais il s'inquiéta d'une armée qui décorait les prisonniers. Une satisfaction plus sérieuse lui serait donnée par le service de place qui le récupéra pour lui confier la direction du bureau militaire de la gare de l'Est. La fonction impliquait, en plus des responsabilités, le port de l'uniforme ; il restait mobilisé, la dignité de servir ne lui était pas ôtée. Il en jouira jusqu'à la paix dont il appréciera le bienfait public mais qui le laissera pour toujours abîmé dans sa tristesse. Inutile de préciser à quel point chez nous, à la maison, les effets de l'armistice furent mélangés. Un million deux cent cinquante mille morts en chiffres ronds faisaient bien quelques centaines de milliers de familles à s'émouvoir en silence au bonheur des autres. S'il est vrai que Sparte et Tokyo réclamaient à leurs triomphes le cortège euphorique des veuves et des orphelins, la patrie n'a jamais eu chez nous que rarement et brièvement la tentation de se faire impitoyable et monstrueuse. Elle est venue discrètement se pencher sur l'épaule des pleureuses, et si Thérèse n'a pas fermé ses volets à la rumeur d'un peuple enivré de sa gloire, c'est bien que la Française dans son cœur le disputait à la mère. Ne doutant certes pas que le bon Dieu eût un faible pour la France elle aura sans doute essayé d'entrevoir l'autre manifestation d'allégresse, l'armée des morts définitivement consacrée dans son bleu angélique et rassemblée à l'instant même dans un surcroît de béatitude parmi les séraphins qui battaient des ailes. Mais la vision mystique n'était pas bien son affaire et le bonheur de son deuil ne lui fut pas donné. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas envie de raconter cette journée, sauf à dire que pour ma part il a bien fallu que je m'éclipsasse pour rejoindre mes camarades et prendre avec eux ma goulée de liesse.
Bientôt le service du rassemblement des morts nous adressait un avis concernant les sépultures de fortune dispersées dans le secteur qui nous intéressait. On commençait d'y procéder à l'exhumation des corps enterrés à la hâte et de les réunir au cimetière militaire en cours d'aménagement. Nous étions autorisés, invités même, à déléguer un membre de la famille pour assister, tel jour, à l'opération. Mon père s'effrayait un peu de la peine et difficulté qu'il aurait à en dissuader Thérèse mais elle décida spontanément de ne pas y aller. Imaginant le spectacle elle en redoutait l'inutile cruauté mais plus encore y réprouvait l'impudeur de sa présence à l'étalage de son fils en état de nudité extrême. Le père évidemment se chargea de la mission et j'ose dire qu'il le fit très volontiers comme le témoignage le plus intime et ultime de l'amour paternel. Il me pria seulement de l'accompagner. A seize ans et demi je me trouvais à six mois de l'âge légal des engagements volontaires, et drôlement bon pour le service. Il avait très bien compris mon indécent dépit de voir la guerre se terminer sans moi. Je ne crois pas que Marc en sollicitant ma compagnie eût la secrète pensée de m'aguerrir aux choses de la mort, pas plus que m'en dégoûter d'ailleurs. Plutôt l'humble désir, et imprévu, de n'être pas seul.

Raisons de famille, Via Romana, 2015

samedi 8 septembre 2018

8 septembre, anniversaire de la naissance de Jacques Perret



 Jacques Perret est né le 8 septembre 1901 à Trappes. Pour connaître son enfance et sa jeunesse, comprendre sa personnalité, il est indispensable de se plonger dans ses raisons de famille...

« Vous commencez à comprendre que je ne suis pas ici pour raconter l'histoire d'une génération de tartufes. Et dans le cas où l'obsession d'une bourgeoisie nécessairement hypocrite vous obligerait à ricaner doucement, je ne vous retiens pas, vous trouverez bien assez de romans et mémoires qui vous diront la noirceur des familles. Je me souviens en effet que certaines d'entre elles donnaient lieu à commentaires indignés quant à leurs turpitudes ou égarements et je n'avais quand même pas l'impression que la nôtre fût d'une qualité exceptionnelle. Bien que difficiles sur le choix de nos familiers nous fréquentions une quantité de gens épatants. Je me souviens aussi qu'en certaines occasions et sous couleur de plaisanterie on se félicitait chez nous d'un rien de fidélité à l'image odieuse où la bourgeoisie elle-même se reconnaissait volontiers. N'oublions pas qu'elle fut toujours la première à décrire et fustiger ses travers et ses tares avec assez de complaisance pour mériter successivement la mort sur les champs de bataille et la sépulture dans les charniers de la Libération. Je dirai alors que si par instant un petit côté affreux bourgeois se manifestait dans la famille j'aime y voir aujourd'hui l'ombre portée de ses vertus. Quoi qu'il en soit et pour le temps que j'y ai vécu, les vents régnants étaient d'amour et d'harmonie, les discordes passagères et je veux m'en féliciter sans rien y trouver d'extraordinaire.
Pour ceux que je n'ai pas connus, je m'en rapporte au souvenir des témoins, à la tradition, à quelques documents et si besoin est à la bonne foi de mon imagination ; au plus lui demanderai-je de broder sur des apparences qui n'ont jamais souffert aucun démenti que je sache. Si j'avais d'ailleurs quelques raisons de flétrir ma parentèle je me damnerais à le faire publiquement mais je n'ai que raisons de les honorer et je ne vais pas m'en priver, tant pis pour la littérature, si le rose lui déplaît je ne vais pas en rougir. » Raisons de famille, Via Romana, 2015

mardi 10 juillet 2018

Tourisme


« Quand on parle d'échanges touristiques, cela veut dire que le touriste propage sur lui-même un certain contingent d'idées fausses et qu'il remporte sur autrui une quantité égale d'impressions vicieuses. Assez de balivernes sur les voyages qui forment la jeunesse ; c'est une formule moyenâgeuse qui donnait de bons résultats avec des locomotions moyenâgeuses.

samedi 7 avril 2018

 En librairie, le troisième tome des chroniques de Jacques Perret, parues dans Aspects de la France, entre 1960 et 1962 et principalement consacrées aux "événements" d'Algérie.

samedi 17 mars 2018

19 mars 62


On commence à savoir qu’à Bab-el-Oued, au cours de l’opération dite de Vigilance Républicaine, le nombre de Français tués par les forces de l’ordre gaulliste a dépassé 150. Les blessés en proportion. Rappelons que ce faubourg est habité par une population de riches nazis déguisés en ouvriers patriotes. Son attitude outrageait à la solidarité prolétarienne.
Votez oui pour le restaurateur de l’unité française épurée dans son hexagone.
En dépit des louables efforts du gouvernement pour présenter l’exploit avec humilité, on commence à saisir la besogne qui se fit derrière le bouclage et sous le bâillon. Tandis que les tireurs d’élite ajustaient les ménagères, le ratissage et la fouille s’effectuaient avec une telle énergie que les Musulmans eux-mêmes n’en croyaient pas leurs yeux. Ainsi Bab-el-Oued, ramassis de salariés fascistes, ne se vantera plus bêtement d’avoir donné ses fils pour le salut de la République et la libération de l’Alsace.
Votez oui pour le justicier des cités orgueilleuses.
On savait déjà que des avions militaires avaient bombardé à grenades lacrymogènes une population qui saura désormais pourquoi elle pleure. On commence à savoir que deux appareils particulièrement consciencieux ont exécuté des tirs à mitrailleuses sur une population qui avait encore à apprendre sur la haine des renégats. Le nom de ces aviateurs audacieux sera porté à la reconnaissance du peuple français en même temps que le texte de leur citation actuellement à l’étude.
Votez oui pour un chef si bien servi.
On commence à savoir que, peu après, la fusillade de la rue d’Isly, a fait 140 morts dans un cortège qui, par un odieux et vain stratagème, avait pris une apparence de procession familiale, comme si la vue de femmes et d’enfants pouvait détourner de leur devoir une compagnie de travailleurs au service de la fatalité historique. Le nom des officiers sera porté à la reconnaissance du peuple métropolitain en même temps que le texte de leurs citations actuellement à l’étude. Les drapeaux français capturés ou ramassés sur le terrain seront prochainement exposés dans la chapelle de l’Elysée.
Votez oui le rassemblement des enfants de la Patrie.
On commence à savoir que, contrairement aux informations d’un pouvoir trop beau joueur, ce ne sont pas des pieds-noirs postés sur de lointaines terrasses qui ont déclenché le tir. C’est bien à l’armée régulière gaulliste que revient l’honneur d’avoir ouvert le feu, feu roulant, chargeur sur chargeur. En outre, des constats ont été rédigés, photocopiés et mis en sûreté, par lesquels il est prouvé que la plupart des morts ont été frappés dans le dos ce qui établit sans discussion le délit de fuite.
Votez oui pour le vainqueur de la nouvelle Isly.
On se doutait bien que la vengeance gaulliste, atténuée par des informateurs trop soucieux de la modestie du pouvoir, s’était abattue en réalité avec toute la rigueur caractéristique des répressions républicaines, Mais on commence à savoir que M. Thiers fera figure de justicier pusillanime.
Votez oui pour le père du peuple.
Enfin nous savons que M. Ben Khedda, en son conseil, a décerné publiquement un satisfecit à l’armée française laquelle, dit-il, a suscité l’étonnement des observateurs par « l’heureuse rapidité de sa métamorphose ». Confondue par cet éloge sans précédent qui consacre le terme de sa glorieuse histoire, l’armée française ne songe plus qu’à regagner ses foyers dans le silence qui convient aux héros de l’obéissance absolue.
Vous donnerez aussi votre satisfecit au plus illustre des Français, le seul qui puisse nous délivrer de ces millions de Français dont l’amour obstiné nous fait honte et nous blesse.
Votez oui, et que le nom français désormais soit porté par la nouvelle race de Caïn.


"Votez oui", Aspects de la France, 5 avril 1962, n°708