Le Caporal épinglé est diffusé
lundi 12 mai 2025 sur TCM, à 22h40.
Et toujours en audio sur France Culture
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Il parait que la bataille du coca-cola est engagée, qu'elle est même engagée sans trop d'espoir et que tôt ou tard la nation française sera traitée au coca-cola. Nous ne nous rendrons pas sans combattre et je fais confiance au réduit bourguignon. Mais on prétend que ce coca-cola aurait pris rang parmi les monstres sacrés d'Occident et qu'il disposerait d'un fauteuil aux conseils de l'O.N.U.
Je ne sais jusqu'à quel point la taxe et la douane ont tenu en échec la gomme à mâcher et la camel, mais je veux croire que, même libres et tambourinés par la propagande, ces produits au demeurant honorables, ne feraient pas sans peine la conquête des foules françaises. Même sans protection et à prix égal, la gauloise tiendrait le coup un bon moment. Certes, le jour où la chesterfilde nous serait distribuée gratuitement, il faudra bien la fumer, d'autant plus que le paquet de gauloises serait vendu 1.000 francs pour éponger le déficit des houillères. C'est une extrémité qu'il faut envisager. Mais, d'ici là, notre goût est assez caractérisé, assez invétéré pour que le paquet de gris soit le dernier bastion de la fierté nationale.
Notons par ailleurs que nous résistons assez bien à cette clique de snobés snobeurs qui prétend nous communiquer ses obsessions sexuelles sous prétexte de libération, nous initier aux délices d'une psychanalyse à l'usage des cow-boys refoulés, et pour tout dire enfoncer des portes ouvertes. A mon avis et jusqu'à nouvel ordre, le Français porte allègrement ses petits complexes bénins ; je pense même qu'il tient à les conserver pour son équilibre ou sa récréation, que, depuis Vercingétorix, nos institutions et traditions tinrent lieu fort civilement de psychanalyse et que l'indice de refoulement ne s'est pas tellement aggravé chez nous malgré 150 ans de bourgeoisie républicaine. Ces tonnes de complexes anglo-saxons ne payent aucun droit d'entrée et les distributeurs ont beau nous assommer de propagande sexomaniaque, cela n'a pas encore modifié sensiblement les caractères d'un peuple gentiment gaillard et mûri dans la tradition catholique. Mais, bien sûr, avec le coca-cola, il faudra se méfier. Une lecture, une émission, un spectacle quelconque, on peut toujours en prendre et en laisser. Mais un philtre, on ne sait jamais très bien ce qu'il y a dedans.
Voilà longtemps que j'ai fait connaissance avec le coca-cola et je n'ai pas de mal à en dire, pas plus que d'aucune autre boisson exotique. Je respecte les coutumes nationales et j'ai même une tendance à trouver quelque vertu aux plus misérables bibines qui m'ont désaltéré loin de ma patrie. Je reboirais volontiers du coca-cola chez le drugstore du Wisconsin quand le soleil tape sur la prairie et que la poussière des blés torrides vous sèche la gorge. Et je le boirais sans même dire : « Ça ne vaut pas un coup de blanc ». Voyez que je suis beau joueur et honnête pèlerin.
Malgré l'ignorance où je suis des grands protocoles de l'Occident, j'imagine sans peine que nous sommes menacés d'une invasion de coca-cola. On peut même supposer le torrent de coca-cola renversant tous les barrages de douane et nous subjuguant par le seul prestige de sa diffluence, supputer le branchement du pipe-line-coca-cola sur les fontaines publiques, l'imbibition méthodique de la France et la résignation totale de l'organisme gallo-romain à ce breuvage mêlé de glucose yankee, d'essences précolombiennes et de pétillements arbitraires. Les civilisations, les races même, sont assez influencées par les nourritures traditionnelles pour nous laisser, à la longue et sous l'influence de ce déluge acidulé, une planification ethnique sur le type américain. Combien de générations faudra-t-il pour que soient rincées, lessivées, noyées les dernières traces du particularisme français ? Il n'y a pas de boisson innocente. A Paris, je peux boire une bouteille de coca-cola par curiosité ou en hommage à nos amis ; une deuxième par bravade ; une troisième par défi et une quatrième par vice ; une cinquième pour me venger de quelque saint-émilion frelaté. Mais à partir de la sixième je guetterai en moi les premiers symptômes de la dénaturalisation. A la dixième enfin, je me vois muté en quaker, chose non mauvaise en soi mais absolument contraire au tempérament traditionnel de ma famille.
Il est possible que nous soyons invités à mourir pour le coca-cola en même temps que pour quelques autres valeurs subsidiairement spirituelles, soit. Il y a toujours à boire et à manger dans les meilleures causes qui font mourir. Mais je suggère simplement que les caisses de coca-cola ne soient pas entassées sur les mêmes quais où seront débarqués les chars d'assaut.
Débit de boisson, Aspects de la France, 9 février 1950, n°78
Les éditions Locus Solus viennent de rééditer deux nouvelles de Jacques Perret, qui avait été illustrées par Gus Bofa : "L’Oiseau rare" et "Le Tourangeau de Winnipeg" (Paris. Éd. l’Arc-en-Ciel, 1952).
"Féru d’aventures réelles ou fantasmées, Gus Bofa fait la rencontre d’un auteur déterminant dans son parcours : Jacques Perret. De cette collaboration naît un livre illustré qui compte parmi les chefs-d’œuvre de l’artiste : L’Oiseau Rare. Publié en 1952 par les éditions Arc-en-Ciel, c’est un recueil de quatre nouvelles dont seulement deux ont été illustrées par Bofa pour le tirage de tête de l’ouvrage : L’Oiseau Rare et Le Tourangeau de Winnipeg.
La première se déroule sur un vieux cargo, Le Messager de Pluton. Victorien Flan, le capitaine Caïus, le timonier Mangebrouillard et le professeur Buh trouvent, un soir de brume, dans l’un des renfoncements les plus discrets du navire, un oiseau aux qualités particulières. Dans une langue subtile, savante et créative, Perret stimule un imaginaire collectif, en associant le jargon maritime à ses traditions superstitieuses.
Pour représenter le texte de l’auteur, Bofa a élaboré une série de seize eaux-fortes originales en noir qui agrémentent parfaitement le caractère nébuleux et étouffant du récit. Les images de Bofa, charbonneuses, d’un noir profond, retranscrivent l’intensité du récit avec justesse.
Comme un épilogue discret et spontané, vient ensuite Le Tourangeau de Winnipeg, nouvelle dans laquelle un docker, probablement embarqué sur le même bâtiment, rencontre un moissonneur dans les champs de blés démesurés du sud du Canada." Locus Solus
Chez Locus Solus et aussi sur le site de la Fnac.
Devant le péril communiste, le Dalaï Lama a décidé de « démocratiser » le Thibet pour rendre l'administration plus efficace. Ce n'est pas moi qui guillemette, c'est l'informateur de Calcutta. Il y avait trois postes à pourvoir dans la nouvelle démocratie du Dieu Vivant ; le Dalai Lama, s'inspirant de la république athénienne, a fait jeter dans une urne profonde la fortune de onze candidats, et la main d'un innocent a tiré trois noms. Qu'il le veuille ou non, le Dalaïc Auriol est une espèce de Grand Lama et ses dernières photos laissent bien deviner sur son front l'aura d'une sagesse tibétaine. Il y a beau temps qu'il pense au coup du chapeau, qu'il le mûrit et qu'il en médite le cérémonial : un carré de gardes en culottes blanches, une poignée de noms dans un gibus profond, ouvrez le ban, un pupille de la nation tire le nom du premier ministre, fermez le ban. Si le président fait traîner la révision de la constitution, c'est qu'il met au point avec les experts de la loterie nationale la forme démocratique du chapeau de la fortune, qu'il prépare la substitution du tirage au sort à toute espèce de scrutin et du pile-ou-face à toute espèce de sélection par concours.
Chacun sait que notre vieux système de concours est digne de nos laboratoires poussiéreux ; qu'il n'y a plus grand-chose à tirer de nos élites mandarines et que le culte du lauréat est une espèce de superstition jacobino-bonapartiste dont la survivance étonne et amuse le touriste étranger. Laisser par exemple au patron la liberté de choisir ses élèves serait ébranler gravement l'édifice démocratique et il n'en est pas question ; mais remplacer la loterie hypocrite et cruelle des épreuves de l'internat par une franche partie de courte paille suffirait à assainir le recrutement en donnant leur chance aux talentueux antiscolaires et farfelus de génie. Sur ce point, la reforme serait, je crois. assez populaire, sauf l'opposition du mandarinat crabien, sauf l'indignation des forts en thème et bottards apanagés, frustrés du destin peinard qui les conduit gentiment de l'école aux plus dorés, aux plus moelleux des fauteuils de la République.
Ceci fait, le tirage au sort du personnel législatif et exécutif s'imposerait bientôt comme une nouvelle victoire du réalisme éclairé sur l'esprit de routine. Tout le monde sait bien, et de mieux en mieux, que le suffrage universel fonctionne comme un crible établi pour ne retenir que les éléments médiocres ; tout ce qui dépasse la densité, la mesure et le carat se trouve éliminé à une période quelconque de l'opération, et le dernier tamis est calibré pour le strict passage des petites têtes légères. Il est donc immédiatement compréhensible que le tirage au sort, compte tenu de la triche, ne peut qu'apporter une amélioration sensible au recrutement de nos assemblées. Pour apaiser certains scrupules et bien montrer que la réforme s'exerce dans le respect des traditions démocratiques, on pourra envisager un tirage au sort à plusieurs degrés, une courte paille proportionnelle avec utilisation des quotients à pair ou impair et panachage au doigt mouillé. De toute façon, le résultat sera plus représentatif du génie de la nation que tout ce qui a été fait jusqu'ici dans le genre scrutin. A titre de démonstration, je propose de tirer au sort une dizaine de ministres dans le tout-venant des Martin et Durand de mon quartier. Vous verrez cette équipe ! Je sais bien que le quartier Mouffetard est un noble quartier, fertile en truands bien nés et ministrables de tout poil, mais rien ne m'empêche de supposer que ce quartier lui aussi a été tiré au sort.
Depuis que le peuple est devenu corps électoral, sa voix n'est plus celle de Dieu; comme à toutes les époques troublées, il est plus convenable et prudent de chercher la Providence dans les chemins du hasard. Ce disant, je pense à nos tribunaux qui devraient se borner désormais à enregistrer les décrets du hasard, car le divin hasard a toujours mieux servi la justice que la passion des justiciers. Comparés aux cours de justice de la IVe République, le duel judiciaire et les ordalies furent des institutions hautement civilisées.
L’hebdomadaire Arts poursuit une enquête sur les jeunes. C’est une enquête consciencieuse et intelligente, mais je trouve qu’on devrait d’abord leur fiche la paix, aux jeunes. C’est corrompre la jeunesse que lui inculquer des préoccupations d’adultes. Notre siècle a pris de la jeunesse une sollicitude alarmante. Il a promu à son intention le mot « jeune » au rang de substantif à majuscule ; il lui a fabriqué des ministères spéciaux, il a même confié des portefeuilles très sérieux à des galopins qui, entre parenthèses, se sont révélés plus dénués d’imagination et plus rabougris dans la doctrine que nos augustes vieillards.
Il y a un engouement, un mythe, une extrapolation snobée, une démagogie, une technique enfin de la jeunesse. On l’a tirée des limbes heureuses pour l’engager dans la congrégation sociale ; le déterminisme historique lui a ouvert pompeusement ses portes. Des prophètes bénis ou cornus lui ont révélé plus ou moins confusément ses aspirations souveraines, ses droits incohérents, ses missions imprescriptibles. La République de Jouvence a découvert que l’avenir appartenait aux jeunes et que ce truisme méconnu aurait des conséquences immédiates et nécessaires. Désormais les jeunes gens formeraient dans l’État, non plus une pépinière hasardeuse au caprice des pères et à la grâce de Dieu, mais une classe organisée, choyée, dûment assurée, attributaire, alignée en solde et loisirs, conditionnée à l’œil socio-électronique.
Le pré-salaire qui sera consenti aux étudiants pour les soulager d’une condition médiévale, et mieux les coincer dans le piège à matricule, sera étendu aux lycéens pubères, en attendant que soient légalement définie la profession de jeune, et promulguée la loi sur la retraite des jeunes, proportionnelle à partir du bachot.
Les niais s’extasient devant la belle gravité de l’étudiant soucieux du lendemain, conscient de son rôle et gouverné par un idéal de sécurité cosmique. Ce jeune homme est un infirme ; on lui a coupé les jarrets. L’enquête en question nous montre des garçons de dix-huit ans fort inquiets de savoir comment ils vont loger leur petite famille et quel salaire y suffira, compte tenu des avantages sociaux. Voilà une jeunesse de tout repos ; la République apparemment n’a rien à craindre de ce côté-là. Les grèves d’étudiants ont elles-mêmes un petit côté rassurant ; elles témoignent d’un sens social orthodoxe et vigilant. Si leur monôme est un peu turbulent, ce n’est pas qu’ils pincent le derrière des filles, puisqu’ils sont tous fiancés, mariés, sinon pères de famille ; ce n’est pas non plus, à moins qu’il s’agisse de jeunes arriérés, pour insulter la Chambre des Couards qui laisse invengée la mémoire du capitaine Moureau. Non, c’est pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur l’insuffisance des locaux scolaires ou le taux de remboursement des lunettes.
Aux jeunes candidats à l’École des Mousses, on avait demandé pour quelles raisons ils avaient choisi cette voie. Il s’est trouvé une demi-douzaine de gamins pour répondre à cause de la retraite. Soyons beaux joueurs et saluons ici une des plus belles conquêtes du progrès social.
Tout cela, bien entendu, est éphémère. Si la cité socialiste n’est pas engloutie par le cours sacré de l’Histoire, elle sera la proie d’un bel incendie dû à l’imprudence d’un fumeur ou à un court-circuit entre la nature et la doctrine. Mais la malveillance n’est pas exclue. En ce cas, l’incendiaire sera peut-être un vieillard extra-lucide ; on se plaît davantage à imaginer une bande de copains, providentielle survivance des jeunesses mérovingiennes boutant le feu au grand fichier matriculaire, simple histoire de rigoler.
La fête des fous se célébrait jadis, une fois l'an, aux alentours de la Saint-Étienne. On promenait le pape des fous sur un âne à travers les rues parmi toutes sortes de parodies, les hiérarchies étaient sens dessus dessous, on se payait la belle récréation de mettre le monde à l'envers, c'était une bonne détente et salutaire pour tout le monde. Les pisse-froid mis à part, nul ne s'indignait de voir le plus réputé des ivrognes, le plus moqué des clochards ou le plus farfelu des truands présider la fête, revêtu des ornements du pouvoir et des insignes sacrés. Ainsi, le comité des fêtes de Paris vient-il d'ouvrir la grande saison par la remise de la croix de guerre à M. Maurice Thorez. L'idée était bonne mais, décidément la République ne sait pas rire comme nos aïeux, ses fêtes sont minables, ses liesses gourmées, tout ce qu'elle entreprend dans ce genre reste mesquin, froid et miteux. Elle lésine et gâche ainsi ses meilleures trouvailles. Cette ingénieuse remise de décoration a fait long feu. Seul un petit nombre de privilégiés a pu se taper sur les cuisses entre deux portes alors que, bien montée, la cérémonie devait offrir au bon peuple assez de pintes de bon sang pour renouveler de bon cœur le mandat des joyeux mirliflores de la IVe Cascadeuse.