samedi 21 décembre 2019

La fin des fêtes

Après le Père Noël dont je vous ai exposé l'autre jour la situation délicate, il faudrait examiner le cas de l'arbre de Noël, beaucoup moins compliqué il est vrai. Nous honorons parfois de fausses traditions. L'étiquette mondaine par exemple et le savoir-vivre des salons de la IIIe République qui croyaient bêtement perpétuer la vieille courtoisie française n'est qu'une invention louis-philipparde, un code pour pécores solennelles et parvenus gourmés anxieux de se distinguer du vulgaire qui travaillait dans leurs fabriques. Ils sont d'ailleurs pour quelque chose dans l'acclimatation de l'arbre de Noël qui nous vint d'Angleterre au temps que Napoléon III flirtait avec la reine Victoria. Depuis, l'arbre a si bien fait son chemin qu'en beaucoup de foyers la crèche traditionnelle a fini par céder la place au sapin dont l'insignifiance arrangeait tout le monde. Le plum-pudding, Dieu merci, n'a pas réussi à détrôner le boudin blanc, mais je vois que la « christmas card » s'insinue dans nos mœurs et ces petites choses-là, entre autres, travaillent sournoisement à l'unité de l'Occident sous l'aimable férule des vieilles filles puritaines. De nombreux journaux nous ont justement rappelé ces jours-ci l'origine anglaise du sapin rituel et, sans vouloir nuire à la cohésion atlantique, j'aime à croire que c'est une des raisons de l'indifférence populaire à l'endroit des arbres de Noël que nous a fichés à travers Paris le comité du Bimillénaire.
Enfin nous en avons terminé avec cette laborieuse commémoration qui n'aura même pas réussi à allumer un seul lampion dans la mémoire des Parisiens. La dernière trouvaille du comité fut donc l'érection au coin des places publiques de grands sapins tristement chamarrés de cheveux d'anges en aluminium. On se demande un peu à quoi correspondait cette manifestation dans l'esprit de l'inventeur. Il a peut-être cru obtenir à bon marché ce qu'on appelle une ambiance, une ambiance de rien du tout comme celle que fabriquent les entrepreneurs de folklore pour qui Noël est une affaire de syndicat d'initiative. Le comité espérait probablement que ça ferait gentil, familial et attentionné, mais un arbre de Noël sans lumière, sans cadeaux, sans cantiques, sans violon et pour tout dire sans Noël, c'est une chienlit et une brimade. Beaux baliveaux partis pour la fête et fourvoyés dans la cité matriculaire. Sapins humiliés, lugubres conifères. Dernière facture du grand Bi, pose et dépose de cent cinquante symboles résineux, deuxième choix, sans bougie. Il est possible que le comité se soit montré à hauteur de sa tâche dans le genre gala sur invitation, mais pour ce qui est de la réjouissance de Paris, zéro. Les Français ne savent plus s'amuser ensemble. Il n'y a personne pour conduire la farandole autour des sapins.
Il n'empêche qu'avant de se dissoudre, le comité s'est décerné un témoignage de satisfaction. Comme beaucoup de comités il avait sa fin en soi et je pense qu'il était composé de gens n'ayant d'autre profession que celle de membre de comité. Certes, je ne suis pas ennemi des montagnes qui accouchent d'une souris quand l'attraction est montée avec goût et que la souris a de l'esprit. Je ne flétris pas non plus les parasites, loin de là, je les envierais plutôt car ils sont parfois la fine fleur des civilisations, mais une société a les parasites qu'elle mérite. Je verrais assez volontiers une partie de mes impôts gratifier des joueurs de guitare sous le balcon des nymphes en cour, mais entretenir des membres de comité, zut. C'est comme l'UNESCO ; je ne connais pas très bien les activités de cet énorme comité, mais j'ai la vague impression qu'avec les milliards qu'il dévore on pourrait entretenir un nombre considérable de guitaristes pour l'agrément réel des populations.

La fin des fêtes, 4 janvier 1952, n°172. La République et ses Peaux-Rouges