samedi 23 septembre 2017

Les tranquillisants à travers les âges : Les Politiques



Parmi les tranquillisants politiques utilisés au cours des âges et par tous les régimes nous citerons pour mémoire la potence, la hache, la dague, le poison, le cachot déjà étudié dans un précédent chapitre, le bannissement, le pilori, les archers du roi, les dragons de Villars, etc. Toutes ces spécialités d'apparence archaïque sont encore en usage plus ou moins constant et avoué dans le monde moderne.

En revanche nous observons que le tranquillisant neurotomique, si en faveur dans les temps mérovingiens et les cas d'anxiété dynastique, est tombé en désuétude avec les dynasties elles-mêmes. Nous citerons l'exemple fameux des enfants de Clotaire popularisés sous le nom d'énervés de Jumiège. Mutilés au jarret pour la tranquillité de leur famille ces petits princes furent soustraits du même coup aux mille tracas de la vie active. L'appellation qui les a rendus célèbres ne leur fut pas donnée par antiphrase ou humour noir. Les énervés de notre temps hélas ! n'ont rien de commun avec ceux d'autrefois. S'il nous plaît aujourd'hui de n'entendre plus qu'un langage si dégradé qu'il en renie parfois ses raisons premières, nos aïeux n'avaient pas peur de s'expliquer à la loyale avec des mots bruts en pleine possession de leur sens propre. Au cas où il existerait encore dans notre vocabulaire quelques termes vieillissant oubliés dans une acception hors d'âge et aspirant à la retraite, nous profitons de l'occasion pour lancer l'appel suivant : mots inquiets de votre pouvoir, mots fatigués de servir au propre, mots surmenés dans vos emplois d'origine, mots anxieux de vos responsabilités, confiez-vous au sens figuré, le meilleur des tranquillisants grammaticaux.

Des exemples cités plus haut vous avez conclu, avec chagrin peut-être, que la tranquillité politique était consécutive à la répression des fauteurs de trouble. Médicalement cela tombe sous le sens. Toutefois il semble que des apaisements aient été obtenus avec les fontaines de vin, les tableaux d'avancement, les dotations d'abbaye, les promotions excep­tionnelles, les sacs d'écus et les feux d'artifices. Tous procédés qui, eux non plus, n'ont pas entièrement disparu de nos mœurs.

Je ne saurais en finir avec ces médications politiques anciennes sans faire mention du tranquillisant conventuel. En effet, la dignité de la couronne, ou même la fermeté du trône sinon la paix du royaume a pu quelquefois se trouver bien d'une vocation monastique plus ou moins spontanée. Au besoin, une escorte de cavaliers s'offrait à confirmer l'arrêt de la Providence jusqu'au seuil du couvent. C'est à bon droit qu'aujourd'hui la conscience moderne a pu condamner cette pratique du tranquillisant spirituel administré par contrainte ou surprise.

Si nous considérons en effet les moyens employés de nos jours pour calmer l'anxiété ou l'agitation des citoyens, nous ne pouvons qu'y reconnaître un souci constant de la dignité humaine. En prenant pour exemple une campagne électorale ou un compte rendu de mandat, nous voyons que l'apaisement collectif peut être obtenu soit par d'honnêtes infusions de lieux communs, soit par la tranquille affirmation que l'homme est bien fait pour marcher sur la tête. Dans les cas urgents la médication allocutoire agira plus sûrement si les paroles intelligibles sont remplacées par une large application de trémolos sédatifs.

Rappelons également que certaines manifestations émotives provoquées par l'épanchement d'un scandale purulent sont justiciables d'un conseil médical appelé commission d'enquête qui, à loisir, met au point le tranquillisant spécifique à base de lampiste. On sait d'autre part que les cas de prurit chronique sont ordinairement traités par les entreprises de presse, merveilleusement habiles à gratter la clientèle où ça la démange. Enfin, pour ce qui est des nombreux tranquillisants à base de scrutin, nous nous bornerons à citer le référendum, vieille recette que les techniques modernes ont immunisée contre toutes supercheries.

Il va de soi que les périodes de crise réclament des tranquillisants exceptionnels. On ne les trouve pas dans le commerce car leur formule est généralement assez riche en ingrédients toxiques. Toutefois, élaborés sous le sceau de la raison d'État, ils procurent à ceux qui en font usage une conscience relativement tranquille.


Texte tiré des huit textes écrits en 1954 pour les laboratoire Dausse, servant de support de publicité au "sédatif équilibrant Olympax".
Textes illustrés par Georges Beuville.