lundi 24 juillet 2017

La chambre froide



Il va de soi qu’en allant passer un après-midi au Palais Bourbon, je n’avais pas la prétention d’y contempler une assemblée d’hommes libres. Mais enfin, je suis assez bon public et mes intimes convictions ne résistent pas au besoin de surprendre, chaque fois qu’il se peut et avec les pires indulgences, les plus minces raisons de ma fierté française. Les occasions n’en courent pas les rues à notre époque où les héros frelatés, les olibrius et les pillards se bousculent aux premières places et l’expérience conseille d’aller ranimer sa foi aussi loin que possible des élites officielles. J’ai voulu braver cette sage défiance.
            Jamais le niveau des élus ne fut aussi bas, m’affirma dès l’entrée le double témoignage d’un huissier chevronné et d’un confrère vétéran.
            Tant mieux après tout. Nous n’avons pas, je pense, vaincu les tyrans pour nous offrir une Chambre des Pairs et il serait un peu fort que la Quatrième République ne fût pas plus démocratique que la troisième. Dans le sens populaire nous n’irons jamais assez loin et la France ne devra son salut qu’aux vertus instinctives des couches les plus profondes, c’est bien connu ; et au besoin nous fabriquerons les couches les plus profondes qui soient au monde. Comment ne pas croire au surplus à la grandeur et même à l’utilité d’un collège réuni tout exprès pour assurer les Hommes dans leurs Droits et le Pays dans sa Constitution. Nul n’ignore que les Français ont toujours montré une particulière disposition à se hisser tout naturellement à la hauteur des plus nobles tâches, parussent-elles dépasser leurs moyens. Au moins, allai-je déceler ici en ce congrès de patriotes à l’état natif et de résistants exemplaires, les vestiges de nos plus traditionnelles vertus, les dernières séductions de notre talent dialectique, les ultimes clartés de notre génie. En toute dernière extrémité, j’étais près à me contenter de subtile et vaine éloquence de la même façon que le prestige de notre commerce extérieur se contente de parfum et de frivolités.
            Naguère, les ennemis du régime pouvaient se gausser d’un parlement tapageur, chahuteur, bagarreur ; ils pouvaient y dénoncer tour à tour le déchaînement des passions, le caprice des humeurs et la fragilité des élans, mais soyons justes, il y régnait parfois une certaine hauteur de ton, le spectacle était souvent de qualité, les orateurs y parlaient en bon français, les hommes, enfin, semblaient encore capables de dire oui ou non comme de grands garçons, sans consulter personne. On pouvait alors se croire dans une assemblée d’hommes libres. Aujourd’hui tout est réglé d’avance, ici comme au tribunal. C’est une chambre automatique, une chambre froide, une morne parodie. C’est déjà, à l’état naissant, le parlement des dictatures, obéissant et servile, dont se moquent encore à l’étourdi tant de benêts démocrates. (…)»
Minerve, 29 mars 46

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