samedi 16 mai 2015

Le Corbusier à Pompidou

 Du 29 avril au 3 août le Centre Pompidou consacre une exposition à  l'architecte et urbaniste Charles-Edouard Jeanneret, dit LE CORBUSIER. Avant de vous y rendre, une petite mise en jambe s'impose.
 

La maison du fada

La maison marseillaise de M. Le Corbusier revient une fois de plus à la surface de l'actualité, et comme il s'agit d'un dada personnel je m'empresse de l'enfourcher. On ne parle jamais mieux que de ses dadas. Je suppose que la fameuse bâtisse, pour des raisons de finance ou de prestige, a eu besoin d'un petit coup de tambour ; elle a rappelé aux bonnes gens que ses appartements étaient soldés 3.500.000 et convoqué une sélection d'esprits distingués pour leur renouveler l'assurance qu'il s'agissait bien d'une expérience urbanissime, extraordinaire autant que prophétique.

Qu’elle soit prophétique, non seulement on s'en fiche mais ce serait déjà une bonne raison pour la mettre par terre. Les précurseurs deviennent de plus en plus indésirables. C'est déjà assez que le coup dur arrive à son heure sans que les olibrius fassent du zèle et nous en proposent des avant-goûts. Par le temps qui court il faut avoir une belle dose de fanatisme ou d'imbécillité pour se réjouir d'une anticipation quelconque. De tout ce que peut contenir l'avenir, rien ne presse, croyez-moi ; non seulement la pente accuse un pourcentage inquiétant mais la descente n'a pas l'air de se terminer sur la mousse et quiconque appuie sur l'accélérateur a des intelligences avec la catastrophe.

Dieu merci, Marius préfère le cabanon ; il flaire que le jour où tout le monde sera casé dans les alvéoles du grand guêpier corbus, la condition humaine aura fait un pas décisif vers l'admirable civilisation des communautés fourmillantes et termiteuses. La race humaine aura retrouvé le grand secret des instincts arthropodes et sera délivrée des minables errements de l'homme libre. On dit que tel est probablement notre destin et c'est déjà mauvais signe que de le dire. Quand bien même ce le serait, on est encore libre de penser que c'est un fichu destin, et de museler les pécores obtuses et triples corbuses qui s'amusent à nous chanter les beaux blocs du casernement futur.

Où l'on voit bien qu'il s'agit d'un piège c'est que la bâtisse fut d'abord annoncée sous le nom de Cité Radieuse. On n'y a pas vu malice, au contraire, c'était un peu clinquant, mais aguichant tout de même, et les bonnes gens se sont réjouis de la cité radieuse sans se douter qu'il s'agissait d'un faux nom. Quand la carcasse a pris la tournure qu'on sait, le grand architecte a dévoilé le vrai nom de son machin : Unité d'Habitation Conforme. Ça a jeté un froid. On annonce la kermesse et on inaugure le bloc numéro 1 du camp de concentration. Vexés, les Marseillais n'ont pu mieux faire que d'envoyer un sobriquet à ce pataquès aussi pas beau que louche : la Maison du Fada, et c'est sous ce nom que la corbusière anticipatrice fera son entrée dans l'âge d'or de l'urbanisme tératologique. Si seulement le grand architecte était un vrai fada, au sens provençal du mot, il aurait droit à notre sympathie et, au besoin, à nos encouragements car le monde commence à manquer de vrais fadas de bon aloi. Mais Le Corbusier n'est pas un vrai fada.

Bien entendu, je ne mets pas en doute le génie inventif du maître et je crois volontiers que son machin est rempli de trouvailles. Il y a des trouvailles qui, sorties de la planche à dessin et de l'architecture amusante sont bonnes à mettre en dossier ou au panier. L'invention du biologiste allemand qui, l'autre jour, a trouvé moyen de fabriquer des frères siamois artificiels est des plus intéressantes mais on ne tient pas à la voir sortir du laboratoire. Sans doute le savant est-il à juste titre orgueilleux de sa trouvaille et sera-t-il complimenté par ses collègues, mais s'il veut placer à coups de trompettes sa production de frères siamois, s'il prétend que l'avenir appartient aux frères siamois, on lui demandera instamment de consacrer son art à des fraternités plus traditionnelles.

On pense quelquefois que je suis hostile au progrès, mais pas du tout, ce serait idiot. J'aime le progrès. Je n'y crois pas beaucoup mais je l'aime, non tel que les hurluberlus ou les coquins nous le serinent mais tel qu'il pourrait satisfaire aux vœux innocents du brave homme lequel n'a certainement pas pour idéal d'habiter les grands clapiers rationnels de la cité radieusement concentrationnaire, ou, comme le dit joliment Le Corbusier : rétrécie. Qu'on le veuille ou non, l'homme du XXe siècle, avant ou après J.-C., reste fidèle à son rêve d'habiter une petite maison à lui, d'y loger sa petite famille, d'y faire un feu qui se voit et d'ouvrir la porte à ses amis qui arrivent par la route et non par l'ascenseur. Il a le goût du plain-pied, il aime la terre, il veut que sa maison soit posée dessus et non suspendue au grand perchoir collectif. Il veut son toit à lui pour y inviter qui bon lui semble. La cité radieuse et monobloc il s'en moque, il veut que la population soit comptée par feux et que toutes les fumées ne sortent pas par la même cheminée. C'est alors qu'il pourra nouer avec son prochain un commerce vraiment fraternel.

Voilà pourquoi à mon avis les précurseurs de l'école corbisive se mettent le doigt dans l'œil s'ils se figurent travailler pour le bonheur des hommes.

Il faut pourtant signaler qu'aux dernières nouvelles M. Le Corbusier, dans une formule qui l'honore, a déclaré aux représentants de la presse : « les résultats de l'expérience sont encore insoupçonnés. »
La maison du fada, Aspects de la France, 5 octobre 1951, n°159 (à retrouver dans La République et ses Peaux-Rouges)


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