dimanche 2 novembre 2014

Plein gaz !



"L'espace est difficile mais il vaut le coup. Nous allons persévérer et avancer ensemble" a réagi le milliardaire Richard Branson après le crash vendredi 31 octobre, du Virgin Galactic. Cet événement nous rappelle que dès 1953, Jacques Perret s'interrogeait déjà sur les possibilités des vols supersoniques...

Le nouvel avion anglais Avro Vulcan mettra New York à 5 heures de Londres et fera trois voyages par jour. Avant d’aller plus loin je note que cet avion du type aile-volante affecte exactement la forme que nous donnions jadis, étant gamins, à certains modèles de nos aéroplanes en papier. Nous avions chacun des secrets de fabrication, des formules de pliage, des prédilections de matériau, les uns récupérant leurs vieux devoirs sur papier écolier, les autres ne craignant pas d’arracher les pages blanches du cahier d’histoire ou concevant leurs prototypes sur papier rose du catalogue Félix Potin ; peu importe, c’est un fait que la formule aile-volante était déjà inventée, mise en service et construite en série par les gamins de ma génération et que ces appareils traversaient la classe en diagonale et en moins de temps qu’il n’en faut pour attraper deux heures de consigne. Mais, comme toujours, les grandes personnes nous ont fauché nos jouets pour en faire de prétentieux engins bassement utilitaires.

Pour en revenir à l’Avro Vulcan et à ses prouesses annoncées, je dois dire que, vu le peu de volume de mes affaires internationales, ce nouveau service ne m’intéresse pas beaucoup. Je me demande même si j’aurai toujours envie d’aller à New York. Nouillorque à cinq heures de la rue Mouffetard, ça ne vaut plus la peine de se déranger, ou alors tant qu’à faire j’attendrai un peu que le voyage soit réduit à cinq minutes et même à cinq minutes à rebours car j’envisage de me renseigner sérieusement sur les chinoiseries de la relativité qui permettent au voyageur moderne de tirer tous les profits et agréments de ces rapidités insolites. J’ai appris en effet que, sur cet avion, le client parti de Londres à 8 heures du matin, ayant pris son briquefaste, arrivera le même jour à New York à huit heures du matin, donc pour commander son légitime briquefaste avec l’impression très nette qu’il coïncide avec le premier. Il se demande alors pourquoi il est parti puisque New York était à Londres et il reprend l’air aussi sec pour aller se poser à Croydon où il arrive bien entendu le même jour à huit heures du matin pour s’attabler comme de juste devant le briquefaste habituel avec une agréable impression de satiété. Mis à part le resquillage des petits déjeuners, je ne vois d’autre avantage à ces déplacements qu’une réclame pour l’absurdité existentielle. Quand on aura réduit, par le traitement supersonique, la surface de la terre à celle d’une bille, il est à prévoir que surgiront de nouveaux et délicats problèmes, sans parler des anciens qui, par compression, auront pris une densité alarmante. Je vous dis cela un peu en l’air et à vue de nez, en homme qui a été élevé dans l’idée que New York était à dix jours environ de navigation et dont la jeunesse a été formée par la durée des voyages, à une époque où le temps et l’espace vivaient encore sur des protocoles millénaires ; ce n’est donc pas en trois minutes que je vais m’habituer à leur dénonciation. Mais je répète qu’en potassant Einstein, Izidore Izou, Jules Verne, Popof, le Reader Digest et Ferdinand Lop, j’espère à la fois moderniser ma connaissance, réformer mes instincts, médiatiser les données de ma conscience, de manière à jouir pleinement de mes droits au bénéfice de la relativité, apprécier les petits profits du genre triple briquefaste et même ses mirifiques aubaines sur le plan de la métaphysique, de la morale, de la vélopsychie et de la cosmolaïcité.

Dans le domaine des applications pratiques de la relativité à la base de déplacements surréalistes, il est à craindre que la Russie ait une grosse avance sur la technique occidentale. Sans parler des récentes exhibitions de relativité justicière, M. Thorez, par exemple, qui arrive à Paris alors qu’il était encore à Moscou et qui, tout en restant à Moscou, rentre à Paris plus vieux de deux ans mais rajeuni de cinquante, a sans doute pris place dans un de ces avions para-ubiquistes, avec sa serviette bourrée de consignes non euclidiennes et de dialectique néo-relativiste. Avec de pareils systèmes, et pour peu que de son côté M Bidault prenne goût à ces ailes volantes qui permettent la triplication du casse-croûte de huit heures et la multiplication anticipée de la conférence de presse déjà tenue le lendemain, on imagine que la conjoncture internationale va devenir excessivement récréative et, avec un peu de chance, pour la prochaine dernière, nous risquons de voir signer la paix par des ambassadeurs supersoniques avant que nous soient retombées dessus, à pleines soucoupes, les relativités atomiques.
Plein gaz, Aspects de la France, 10 avril 1953

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