A propos de cette grève, on s'émerveille une fois de plus de l'angélique patience du public parisien : « La bonne blague, dit-on, que ce peuple prétendu frondeur ! Il encaisse toutes les brimades sans broncher, il a perdu les belles réactions de sa jeunesse, il est mûr pour n'importe quelle tyrannie, et gouverner un tel peuple est un jeu d'enfant. » Jugement hâtif, peut-être. Je penserais plutôt qu'en manifestant, soit contre les poinçonneurs, soit contre un gouvernement fauteur de chienlit, les Parisiens eussent témoigné d'une édifiante passion pour l'ordre, chose qui, assure-t-on, n'est pas dans leur vraie nature. Réjouissons-nous au contraire de voir le public accepter avec allégresse une telle rupture des routines quotidiennes et envisager avec si peu d'impatience le retour dans les tunnels du conformisme ferroviaire. Voilà qui prouve une belle vitalité ; il faut être jeune pour aimer la pagaille ; tout ce qui vient empêcher la machine de tourner rond est accueilli comme une aubaine et ce que les observateurs superficiels prennent pour de l'apathie est en réalité une prise de position en faveur du désordre, l'affirmation d'un goût vivace pour les aléas de l'anarchie, la plus sûre garantie enfin que puisse nous donner la population parisienne de son inaptitude aux futures disciplines de la technographie sociomaniaque, stakanovicieuse et totayloritaire où les poinçonneurs dopés feront des heures supplémentaires pour augmenter la production des petits trous, à la gloire de l'humanité en marche dans les souterrains de l'émancipation matérialiste.
Il y a aussi, dans cette patience des Parisiens, la séduction du pire. Depuis quelque temps en effet, à chaque scandale, à chaque brimade, à chaque démonstration de la capilotade parlementaire, à chaque pitrerie, escroquerie, tartuferie du IVe Gang, à chaque culbute des cabinets cascadeurs, le public, vidé de toute indignation, préfère défier le destin et claquer gaiement du doigt en se disant : « Tant mieux ! Remettez-nous ça ! Vivement que ça pète ! » Comme si chaque tournant de la vrille nous rapprochait de je ne sais quel point de chute sur je ne sais quel fond élastique tapissé d'espoirs. L'histoire nous offre évidemment quelques exemples de redressement à partir de zéro, mais on rebondit toujours un peu moins haut et, à bien réfléchir, aucune loi ne garantit le rebond.
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