mardi 7 décembre 2021

Le Caporal épinglé en audio sur France Culture

 


L’adaptation radiophonique réalisée par Jacques Perret et Jean Forest à partir du Caporal épinglé et initialement diffusée en octobre 1958 sur la Chaîne Parisienne (RTF), sous forme d’un feuilleton de 45 épisodes, est rediffusée sur France Culture en début de nuit (minuit) du mardi 04 janvier 2022 au samedi 22 janvier 2022, sauf les week-ends, à raison de 3 épisodes par nuit.

Interprétation François Périer (le caporal), Henri Virlojeux, André Valmy, Jacques Torrens et Gaétan Jor et Jean Ozenne - Réalisation Albert Riera - Musique Maurice Jarre

Les nuits de France Culture

Parties 1 à 3

Parties 4 à 6

Parties 7 à 9

Parties 10 à 12

Parties 13 à 15

Parties 16 à 18

Parties 19 à 21

Parties 22 à 24

Parties 25 à 27

Parties 28 à 30

Parties 31 à 33 

Parties 34 à 36

Parties 37 à 39 

Parties 40 à 42

Parties 43 à 45 

 

lundi 8 novembre 2021

Beaujolais nouveau

Il m’est parvenu d’Amérique une coupure de journal relative à la politique laitière de notre Président biblique. Il s’agit d’une dépêche de correspondant datée de Chatelet-en-Brie. J’ignore le rôle dévolu à cette commune dans la comédie pastorale dirigée par M. Mendès, mais Chatelet-en-Brie est un nom assez crémeux dans la toponymie française pour cautionner ici les informations de mon confrère américain.

Pour commencer, il est dit dans cet article qu’en faisant boire du lait aux enfants, M. Mendès « a révolutionné les habitudes d’une centaine de générations d’écoliers français ». Je ne chicanerai pas mon confrère sur l’hyperbole qui est la tentation du journaliste et le principal ressort de toute propagande. Plus loin, je lis : « On ne s’attend pas à voir un tel breuvage accueilli avec joie par des écoliers qui ont bu du vin depuis leur naissance ou peu s’en faut. » Le « peu s’en faut » est un correctif de pudeur, car nous savons tous que le sein des mères françaises fournit un beaujolais léger, mais fruité. Le sevrage, il est vrai, se fait avec un vin plus corsé, de telle sorte qu’à l’âge des premiers pas l’enfant peut s’attaquer avec profit au mascara 14 degrés. Mon confrère précise d’ailleurs que, chez nous, « les petits enfants ont coutume d’emporter leur vin à l’école ». Qui d’entre nous, en effet, ne se souvient avec émotion de ces casse-croûte enfantins sur le coin du pupitre, autour d’un bon vieux litron qu’une mère attentive avait glissé dans notre cartable ? Enfin, que Dieu bénisse les efforts de M. Mendès pour « changer en buveurs de lait ces petits ivrognes ».

Encore une fois, l’article en question n’a pas été écrit dans une salle de rédaction du Nebraska, entre deux whiskys, par un boy à visière, les pieds sur la table, le chewing gum derrière l’oreille et l’œil encore charmé par la télévision du super-mendesman, grand yogi du yogourt et terrific manager de la France gâteuse. Non, c’est une dépêche datée de Châtelet-en-Brie, où le correspondant américain a pu observer comme tout le monde les écoliers titubants sur le chemin de l’école et les nourrissons soifards chopinant dans la crèche municipale. Ces vieilles coutumes du folklore gaulois n’ont pas pu se dérober à l’œil clair et pénétrant d’un de ces reporters de l’Occident libre élevés dans le culte des choses vues. La presse américaine a des moyens d’information gigantesques, nulle vérité ne saurait lui échapper et ses envoyés spéciaux finissent par raconter d’aussi charmantes histoires que les rédacteurs soviétiques claquemurés dans leur farouche ignorance. Maîtresse du destin atlantique, l’opinion américaine dispose d’une documentation universelle qui la préserve de l’erreur. Qu’il s’agisse de l’Allemagne, de la Russie, de la Chine, du Viêt-Nam, du monde arabe ou des écoliers français, nous lui voyons toujours cette même connaissance profonde et subtile des diverses populations qu’elle s’est donné mission de rééduquer à l’image des murs idylliques de la démocratie pilote.

Ce disant, bien sûr, je ne cherche pas à glorifier l’institution vivifiante des bouilleurs de cru ni les records prestigieux de notre consommation d’alcool ; mais si le confrère a pu voir chez nous des tétines sur le goulot du gros rouge ou des écoliers saouls depuis cent générations, je vois bien qu’au Nebraska ils ont tous tété l’élixir de vertu pasteurisée et que le lait de la bonne foi n’a pas caillé dans leurs biberons.

Je ne prétends pas, certes, que nous ne sachions répandre et gober sans broncher d’aussi belles fables. II y a dans le monde une répartition d’erreur et de vérité à coefficient invariable et les vitesses de propagation n’y changent rien. Nous aimons toujours apprendre de la bouche des voyageurs que les naturels du Haut-Zipangu portent les oreilles en pointe et une courte queue en trompette.

Le vin du bébé, Aspects de la France, 31 décembre 1954, n°329

Du tac au tac, Editions Via Romana


 

 

mercredi 9 juin 2021

Tournée présidentielle

 Au cours d’une tournée qui sera probablement la dernière de ce genre, le général De Gaulle est descendu sur la Corse. Dans cette île intégrée jusqu’à nouvel ordre et par faveur, au territoire Métropolitain, le général essayera de réchauffer un loyalisme refroidi.
A l’heure où j’écris ces lignes, on ne sait rien encore du voyage. A l’heure où elles passeront sous la rotative, les événements seront accomplis. J’écris donc un billet, le sachant déjà périmé. C’est une faute professionnelle grave, mais je ne puis m’empêcher à l’instant de rêver à la Corse.
Si la Corse n’a droit qu’au discours passe-partout, le général annoncera d’abord que hier n’est pas demain, ce qui est une vérité à l’usage des imbéciles, et ensuite qu’il connaît ses problèmes, vieille plaisanterie, qui a fait son tour de France.
Si elle a droit à un petit supplément d’intérêt local, il s’arrangera pour mettre Napoléon dans son jeu en le montrant habile à sacrifier l’Egypte au bien-être de la République, et si elle a droit à quelques allusions ou boutades à effet mondial, on ne risque rien à parier qu’à travers l’obscurité de sa rhétorique ou la vulgarité de ses apostrophes, il ajoutera le dédit au mensonge et couvrira de sa caution en loque, une nouvelle injure au nom français. Au cas où il se vanterait d’une attitude raffermie en face du F.L.N., nous nous demanderons ce qu’il a encore pu imaginer pour être agréable à nos ennemis.
Fera-t-il usage de ce noble argument dit de l’Algérie onéreuse, de l’Algérie parasite, de l’Algérie boulet, ce n’est pas tellement sûr. Un Corse inconditionnel aura pu, au dernier moment, montrer l’inconvenance d’un argument dont la Corse ne pourrait moins faire que prendre la graine. Mais du très haut de sa personne, le Grosmalin a déjà lâché plus d’une gaffe. On connaît le grand chef, dit-il, aux gaffes et couleuvres dont il nourrit son peuple.
Enfin, si le pèlerin de la Vérité doit saluer ce rivage à bras levés, il n’en posera pas moins dessus un pied craintif et nous y voyons trois raisons :
1) Il se méfie d’une île qui pourrait, une fois encore, servir d’escale ou de relai au parti français dont il est transfuge.
2) Il se méfie d’une île où celui qui manque à la foi jurée, est puni de mort par une justice familiale que le Pouvoir ne contrôle pas.
3) Il se méfie d’une île qui n’étant pas comprise dans le périmètre de l’hexagone, aurait mal entendu les appels de l’Histoire.
Aussi, les ordonnateurs du voyage n’ont-ils pas lésiné sur les frais de représentation : quatorze escadrons de gendarmes mobiles, quatre mille compagnons de Sécurité républicaine, le ban de la claque et l’arrière-ban de la clique. Oncques vit-on prince français visiter son bon peuple en si grand appareil. On est confondu par ce débordement de prestige, d’amour, de confiance et d’allégresse. Montjoie ! Quatorze escadrons de gendarmes mobiles, quatre mille compagnons de Sécurité républicaine, ayant tous en poche leur ordre de mutation historique à la réserve générale de l’O.A.S.

 Le billet de Jacques Perret, Aspects de la France, 9 novembre 1961, n°687

 

mercredi 31 mars 2021

Cancel culture

Poitiers. Vénérable cité gallo-romaine et qui peut au moins se flatter d'avoir donné son nom à deux batailles réputées exemplaires des tactiques médiévales : l'une est triomphale et l'autre affligeante. La première en 732 fut en effet des plus heureuses où le roi Charles à coups de marteau fit déguerpir en catastrophe Abderame et ses Maures. La deuxième, en 1356 et contre les Anglais, fut désastreuse, en dépit de Jean le Bon qui n'arrêta pas de se battre à coups d'épée dans la grande bagarre où Philippe, son fils attentionné, lui criait familièrement : « Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche. » Aujourd'hui encore et tout ignorants qu'ils soient de sa royale origine, l'avertissement est toujours en vigueur dans les milieux centristes.

Pour peu qu’aujourd’hui ces bravades aristocratiques soient évoquées dans nos écoles, on se fera devoir ou malicieux plaisir de mettre en évidence l'horrible condition d’une piétaille toujours sacrifiée à l'orgueil d’une cavalerie empanachée autant qu’empêchée dans sa quincaille de Mardi gras. Les motards en tenue de Martiens seront plus compréhensifs. Quant aux affaires de Poitiers, celle de 732 fait un cas particulièrement sérieux. Il y a quelques années en effet, je vous parlais déjà d'une émission télé consacrée à cette bataille et qui nous laissait inquiets sur le bonheur des conséquences. Ils ont remis ça l'autre soir. Une demi-douzaine de personnages diversement qualifiés avaient été réunis à la télé pour discuter sur le thème des batailles, leurs causes et leurs effets. Conduite et animée par M. Kahn, je crois, la discussion avait pour prétexte, en présence de l'auteur, un ouvrage récemment paru sur Poitiers n°1. Tout de suite une charmante personne prit la parole et d'une voix délicieusement primesautière posa la question suivante :

Et d'abord, à quoi ça sert les batailles ?

Entamé de la sorte, le débat s'annonçait d'une qualité rare. Cueillie à froid par une question si lourde échappée d'une bouche si gracieuse, la docte assemblée en resta quelques instants comme deux ronds de flan. Quelqu'un eut alors la présence d'esprit d'assener une deuxième question absolument prioritaire :

Sachons d'abord si la bataille de Poitiers a eu lieu ou non.

Il paraît en effet que certains polémologues, au-dessus de tout soupçon auraient mis en doute la réalité historique de cette bataille pour la réduire au mieux à une escarmouche entre un détachement de pillards incontrôlés et une poignée de francs soudards en vadrouille. L'animateur ainsi menacé dans sa raison d'être fut aussitôt rassuré par l'auteur, lui-même piqué au vif :

La réalité de cette bataille, dit-il, n'est pas discutable.

Ce disant, il souriait à l'évidence, car enfin si ellen'avait pas eu lieu, il ne serait pas là.

La docte assemblée ne cacha pas son contentement et du même coup la victoire des Francs ne serait pas contestée, mais attention : surveillons nos paroles et demandons-nous s'il y a lieu de nous en féliciter. Toute la question est là, et ce n'est pas le moment de faire les marioles. Aussi bien l'auteur a-t-il déclaré tout de suite et dans le sens qu'il fallait :

Tout bien pesé, dit-il, l'issue de cette bataille me paraît franchement regrettable. Il faut voir les choses comme elles sont : à l'heure de Poitiers les Francs sont encore un peu barbares et les Arabes déjà civilisés depuis longtemps, à telle enseigne que…

Et cetera et cetera, je connais le tube, je tourne le bouton et vais me faire un petit café, en ronchonnant : pourquoi cet homme qui a sûrement des choses intéressantes à dire nous balance-t-il ces banalités avec l'air de s'excuser d'un paradoxe inouï ? Voilà quinze ans au moins que nous reconnûmes l'erreur et que la réparation suit son cours dans le zèle et la dignité. Rappelez-vous comment nos yeux furent dessillés par les justes raisons de nos porteurs de valise et autres supplétifs universitaires ou ecclésiastiques volant au secours des docteurs de l'Islam qui se voyaient contraints d'en venir au rasoir pour corriger la sauvagerie de nos laboureurs analphabètes. Allons ! Fier Sicambre, lève la tête on te botte le derrière, confesse tes torts et paye ta dette au Sarrasin on te baptise au pétrole. Que Charles Martel soit enfin dégonflé de sa légende et nous prendrons en pitié la mémoire des preux qui sont morts pour l'honneur des ténèbres. Poitiers ! Jour de deuil, lieu de repentir et de pénitence, là même où la vanité d'un petit maire du palais, fanfaron pépinide marchant au signe de croix, eut la folie de barrer la route à la civilisation. Hélas ! Il croyait bien faire, il faut lui pardonner. Voyant sous ses coups détaler les cavaliers d'Allah, il ne pouvait imaginer, ce héros mal léché, la funeste énormité d'un exploit qui faisait mordre la poussière aux messagers du Progrès. Le grand Abderame lui-même, calife ommeyade et culturel qui traînait pour nous dans ses bagages le Phédon, le Mektoub, l'algèbre et les houris, toutes les lumières de l'Orient et la salade coranique, mourut dans la bataille. Frappé, dit-on, horrible détail, d'un coup de francisque.

J'ignore de quelles autres batailles il fut question, Bouvines, Waterloo ou Montcornet, qu'importe. Auditeur inconstant je m'en suis tenu aux propos d'ouverture mais je brode consciencieusement dessus. Or parmi les raisons de Poitiers je n'ai pas entendu évoquer l'objectif immédiat de l'ennemi, à savoir le sac de la ville de Tours et le pillage de la basilique Saint-Martin, le plus précieux, le plus vénéré de tous les sanctuaires de la nation franque. Il eût été alors historique et décent de rappeler sur-le-champ ce qui faisait la force principale de cette armée barbare, à savoir le baptême chrétien, et le courage décuplé pour l'amour de Dieu. Jusqu'ici nos écoliers avaient appris, même sous Jules Ferry, que Charles Martel avait bien mérité de la patrie. L'historien officiel reconnaissait volontiers que la démocratie, dans les années 730, ne pouvait que patienter sagement sous l'aile déjà tutélaire d'une chrétienté naissante. Mieux encore, il se félicitait en toute sincérité que la vertu, la foi et le pouvoir des évêques l'eussent emporté sur le fanatisme des émirs. Il est vrai que plus tard, devenue conquérante et maîtresse d'un empire, la République se donna le titre pompeux de protectrice de l'Islam, et qu'il s'agissait de le protéger d'abord contre le zèle de nos curés missionnaires.


Belle lurette, Julliard, 1983