Au cours d’une tournée qui sera probablement la dernière de ce
genre, le général De Gaulle est descendu sur la Corse. Dans cette
île intégrée jusqu’à nouvel ordre et par faveur, au territoire
Métropolitain, le général essayera de réchauffer un loyalisme
refroidi.
A l’heure où j’écris ces lignes, on ne sait rien encore du voyage.
A l’heure où elles passeront sous la rotative, les événements
seront accomplis. J’écris donc un billet, le sachant déjà périmé.
C’est une faute professionnelle grave, mais je ne puis m’empêcher
à l’instant de rêver à la Corse.
Si la Corse n’a droit qu’au discours passe-partout, le général
annoncera d’abord que hier n’est pas demain, ce qui est une vérité
à l’usage des imbéciles, et ensuite qu’il connaît ses problèmes,
vieille plaisanterie, qui a fait son tour de France.
Si elle a droit à un petit supplément d’intérêt local, il
s’arrangera pour mettre Napoléon dans son jeu en le montrant
habile à sacrifier l’Egypte au bien-être de la République, et si
elle a droit à quelques allusions ou boutades à effet mondial, on
ne risque rien à parier qu’à travers l’obscurité de sa rhétorique
ou la vulgarité de ses apostrophes, il ajoutera le dédit au
mensonge et couvrira de sa caution en loque, une nouvelle injure
au nom français. Au cas où il se vanterait d’une attitude
raffermie en face du F.L.N., nous nous demanderons ce qu’il a
encore pu imaginer pour être agréable à nos ennemis.
Fera-t-il usage de ce noble argument dit de l’Algérie onéreuse, de
l’Algérie parasite, de l’Algérie boulet, ce n’est pas tellement
sûr. Un Corse inconditionnel aura pu, au dernier moment, montrer
l’inconvenance d’un argument dont la Corse ne pourrait moins faire
que prendre la graine. Mais du très haut de sa personne, le
Grosmalin a déjà lâché plus d’une gaffe. On connaît le grand chef,
dit-il, aux gaffes et couleuvres dont il nourrit son peuple.
Enfin, si le pèlerin de la Vérité doit saluer ce rivage à bras
levés, il n’en posera pas moins dessus un pied craintif et nous y
voyons trois raisons :
1) Il se méfie d’une île qui pourrait, une fois encore, servir
d’escale ou de relai au parti français dont il est transfuge.
2) Il se méfie d’une île où celui qui manque à la foi jurée, est
puni de mort par une justice familiale que le Pouvoir ne contrôle
pas.
3) Il se méfie d’une île qui n’étant pas comprise dans le
périmètre de l’hexagone, aurait mal entendu les appels de
l’Histoire.
Aussi, les ordonnateurs du voyage n’ont-ils pas lésiné sur les
frais de représentation : quatorze escadrons de gendarmes mobiles,
quatre mille compagnons de Sécurité républicaine, le ban de la
claque et l’arrière-ban de la clique. Oncques vit-on prince
français visiter son bon peuple en si grand appareil. On est
confondu par ce débordement de prestige, d’amour, de confiance et
d’allégresse. Montjoie ! Quatorze escadrons de gendarmes mobiles,
quatre mille compagnons de Sécurité républicaine, ayant tous en
poche leur ordre de mutation historique à la réserve générale de
l’O.A.S.
Le billet de Jacques Perret, Aspects de la France, 9 novembre 1961, n°687
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