Après
le Père Noël dont je vous ai exposé l'autre jour la situation
délicate, il faudrait examiner le cas de l'arbre de Noël, beaucoup
moins compliqué il est vrai. Nous honorons parfois de fausses
traditions. L'étiquette mondaine par exemple et le savoir-vivre des
salons de la IIIe République qui croyaient bêtement
perpétuer la vieille courtoisie française n'est qu'une invention
louis-philipparde, un code pour pécores solennelles et parvenus
gourmés anxieux de se distinguer du vulgaire qui travaillait dans
leurs fabriques. Ils sont d'ailleurs pour quelque chose dans
l'acclimatation de l'arbre de Noël qui nous vint d'Angleterre au
temps que Napoléon III flirtait avec la reine Victoria. Depuis,
l'arbre a si bien fait son chemin qu'en beaucoup de foyers la crèche
traditionnelle a fini par céder la place au sapin dont
l'insignifiance arrangeait tout le monde. Le plum-pudding, Dieu
merci, n'a pas réussi à détrôner le boudin blanc, mais je vois
que la « christmas card » s'insinue dans nos mœurs
et ces petites choses-là, entre autres, travaillent sournoisement à
l'unité de l'Occident sous l'aimable férule des vieilles filles
puritaines. De nombreux journaux nous ont justement rappelé ces
jours-ci l'origine anglaise du sapin rituel et, sans vouloir nuire à
la cohésion atlantique, j'aime à croire que c'est une des raisons
de l'indifférence populaire à l'endroit des arbres de Noël que
nous a fichés à travers Paris le comité du Bimillénaire.
Enfin
nous en avons terminé avec cette laborieuse commémoration qui
n'aura même pas réussi à allumer un seul lampion dans la mémoire
des Parisiens. La dernière trouvaille du comité fut donc l'érection
au coin des places publiques de grands sapins tristement chamarrés
de cheveux d'anges en aluminium. On se demande un peu à quoi
correspondait cette manifestation dans l'esprit de l'inventeur. Il a
peut-être cru obtenir à bon marché ce qu'on appelle une ambiance,
une ambiance de rien du tout comme celle que fabriquent les
entrepreneurs de folklore pour qui Noël est une affaire de syndicat
d'initiative. Le comité espérait probablement que ça ferait
gentil, familial et attentionné, mais un arbre de Noël sans
lumière, sans cadeaux, sans cantiques, sans violon et pour tout dire
sans Noël, c'est une chienlit et une brimade. Beaux baliveaux partis
pour la fête et fourvoyés dans la cité matriculaire. Sapins
humiliés, lugubres conifères. Dernière facture du grand Bi, pose
et dépose de cent cinquante symboles résineux, deuxième choix,
sans bougie. Il est possible que le comité se soit montré à
hauteur de sa tâche dans le genre gala sur invitation, mais pour ce
qui est de la réjouissance de Paris, zéro. Les Français ne savent
plus s'amuser ensemble. Il n'y a personne pour conduire la farandole
autour des sapins.
Il
n'empêche qu'avant de se dissoudre, le comité s'est décerné un
témoignage de satisfaction. Comme beaucoup de comités il avait sa
fin en soi et je pense qu'il était composé de gens n'ayant d'autre
profession que celle de membre de comité. Certes, je ne suis pas
ennemi des montagnes qui accouchent d'une souris quand l'attraction
est montée avec goût et que la souris a de l'esprit. Je ne flétris
pas non plus les parasites, loin de là, je les envierais plutôt car
ils sont parfois la fine fleur des civilisations, mais une société
a les parasites qu'elle mérite. Je verrais assez volontiers une
partie de mes impôts gratifier des joueurs de guitare sous le balcon
des nymphes en cour, mais entretenir des membres de comité, zut.
C'est comme l'UNESCO ; je ne connais pas très bien les
activités de cet énorme comité, mais j'ai la vague impression
qu'avec les milliards qu'il dévore on pourrait entretenir un nombre
considérable de guitaristes pour l'agrément réel des populations.
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