Les vacances basiques
Que l’ouverture officielle des vacances soit avancée au 2 juillet,
soit ! cela peut donner aux parents l’espoir d’en finir avec cette
première quinzaine de plus en plus stérile et vasouillarde au point de vue
labeur. Les maîtres sont requis pour les examens, les pions préparent leurs
concours personnels, les élèves débrayent et terminent le parcours dans les
heures de permanence lesquelles ne sont pas toujours désagréables, mais
généralement dénuées de valeur éducative. Et encore, j’admets que le climat
particulier des heures de permanence puisse influencer favorablement la culture
générale. J’ai connu des heures de permanence, merveilleusement stériles, qui
pèsent plus lourd dans mon bagage que beaucoup d’heures de classe.
Remarquons en effet qu’à l’opposé des parents, les élèves,
eux, s’accommodent généralement bien de cette quinzaine traînante et il faut
même avouer que cette agonie caniculaire de l’année scolaire vaut la peine
d’être vécue si j’en crois mon garçon.
Néanmoins, si la période creuse n’était pas reportée sur la
dernière quinzaine de juin comme tout le monde s’y attend, on pourrait estimer
que la situation serait éclaircie. En revanche, la rentrée au milieu de septembre
me paraît une brimade insensée. Il s’agit d’une appréciation tout à fait
subjective qui reconnaît à Septembre des vertus extraordinaires. Il serait trop
long d’expliquer pourquoi, en refusant à l’écolier la jouissance de cette
dernière quinzaine, le législateur accomplit à mon avis un geste inconsidéré
qui peut compromettre assez gravement la santé morale et intellectuelle des
générations futures. Mais il est permis de s’étonner qu’en l’occurrence
l’industrie hôtelière ait imposé sa loi à l’Éducation Nationale. Cela fait
longtemps que je surveille de près le fléau touristique. À partir du moment où l’on
instaurait un Ordre de Chevalerie Touristique, on pouvait mesurer avec
précision le niveau de la décadence. Pour définir sa position devant l’armée
européenne, la France attend les directives de la fédération des hôteliers.
Notez en outre que le communiqué officiel annonçant le décalage des vacances
prend soin de justifier sa décision par l’exemple de l’Angleterre et de
l’Amérique. Ainsi nous n’aurons plus à rougir de nos vacances archaïques, et
nos collégiens arriérés seront enfin dignes d’être intégrés dans les
disciplines de l’occident civilisé.
Guide supérieur de nos destinées, le commissariat au
tourisme, d’accord avec les syndicats d’initiative, donnera prochainement son
avis sur la réforme des programmes scolaires et ses instructions relatives à
l’enseignement obligatoire du français basique, ou basic french, au nom des
intérêts supérieurs et universels du tourisme. À bien regarder, un grand pas
était déjà fait vers l’idéal digest et la sublimation quintessentielle de la
langue par la réduction progressive des heures de français. En classe de 4e,
trois heures y sont consacrées par semaine. L’année prochaine la compression
sera probablement portée à une demi-heure, au bénéfice de l’anglais basique. Le
galimatias européen prend tournure. C’est le moment de se taper le basique sur
le trottoir en hommage au baragouin libérateur.
Aspects de la France, Les vacances basiques, 6 février 1953, n°229
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