En mettant la main à la plume pour étudier l'évolution des
complexes gaullistes dans le bonneteau électoral et le crabier parlementaire,
je m'aperçois qu'aujourd'hui nous sommes le 18 juin. C'est la date anniversaire
de l'événement historique connu sous le nom d'Appel du 18 juin. Par cet appel
le général de Gaulle invitait les combattants à le suivre outre-mer
et à continuer la lutte sous son autorité.
Personnellement je n'ai ni honte ni mérite à n'avoir pas
répondu à cet appel car, dans le coin où je me trouvais, le bruit couvrait la
voix du général. Un bruit d'ailleurs qui nous occupait de telle sorte qu'un
appel de ce genre pouvait difficilement nous concerner. Nous étions aux
environs de Toul et le chef de bataillon qui nous avait menés jusque-là non
sans peine depuis Longwy, avait résolu de faire demi-tour par principe, de
prendre position et d'employer au mieux ce qui restait de munitions. Tout le
monde pensa qu'une telle décision était parfaitement conforme à la règle du
jeu. Comme nous étions très fatigués, je ne peux savoir exactement si notre
attitude était plus inspirée par le zèle de combattre ou l'impatience de mettre
sac à terre, mais il serait idiot de nous chicaner sur ce point. Toujours
est-il que nous jouâmes aux petits soldats pendant quarante-huit heures devant
l'ennemi qui fut bien obligé d'en faire autant. Peut-être que lui aussi était fatigué
et que ses mitrailleurs acceptèrent la provocation avec soulagement. Il y a des
moments où, de part et d'autre, dans une guerre de mouvement accéléré, la piétaille
est disposée à payer le prix fort de la pause. Après tout on ne sait jamais,
cela pouvait donner des espèces de Thermopyles ou une sorte de Marne, mais l'histoire
a tourné autrement et ce ne fut qu'une modeste prise de contact, tout ce qu'il
y a de réglementaire, mais sans effet stratégique et sans poids sur le destin
des nations. Quoi qu'il en soit notre affaire se déroula dans le bruit habituel
à ces rencontres et nous ne pûmes percevoir l'appel d'un général qui, au
demeurant, n'était pas celui de notre division. Nous fût-il parvenu que, à mon
avis et si mes souvenirs sont exacts, le bruit ambiant avait une tonalité trop
conventionnelle et classique pour être favorable à l'idée de désertion,
fût-elle héroïque, historique, et marquée du signe rédempteur de la réussite.
Comme tout le monde j'ai fait ce que j'ai pu pour croire à la
réussite providentielle de l'homme du 18 juin. La réussite ayant mal tourné, je
ne puis m'associer à l'anniversaire officiel du 18 juin sans réserver une
partie de ma ferveur pour le 18 juin de mon bataillon et rendre à ses morts les
honneurs discrets qui conviennent de plus en plus aux victimes du devoir
conformiste.
18 juin, Aspects de la France, 20 juin 1952, n°196
Toujours aussi bon... Je fais tourner le lien
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