(...) Quelques années plus tard, le problème des études, mais à
Lyon les bonnes écoles ne sont pas gratuites. Mal conseillés ils envoient le
jeune César à Nantua dans une école de pauvres où le régime est celui d'une
maison de force, le biribi de la pédagogie. Toutes les noirceurs que nous
prêtons généreusement à cette époque, et souvent comme le stropiat se moque du
bossu, ne sont quand même pas entièrement légendaires. Mais patience :
encore un siècle et demi et la condition scolaire deviendra si clémente que
sous l'œil attendri des humanistes en carmagnole nos chérubins finiront par se
libérer d'on ne sait quoi en attendant la botte qui reviendra d'on ne sait où,
vieille histoire. C'est le mouvement alternatif, oppression dépression, le flux
le reflux, l'ange et la bête, la respiration des sociétés. Ainsi nous en sommes
aujourd'hui à murmurer entre nous que l'école de Nantua n'était peut-être pas
absolument néfaste, que son retour hélas est au moins possible et que nous
verrons alors les bâtons du retour empoignés par les libéraux eux-mêmes saisis
de passion férulaire.
De la pension du petit César nos parents conservaient
pieusement quelques traits à l'usage des enfants qui auraient eu tendance à
douter de leur bonheur : « Mange tes carottes et tais-toi, pense au
grand-père Roque devenu si maigre et affamé qu'il se glissait la nuit par une
chatière pour ramasser les croûtons dans le réfectoire et les partager avec ses
petits camarades. » Ou encore : « Imagine-toi que dans la
pension du grand-père Roque les grands faisaient l'exercice dans la neige avec
de gros fusils glacés et les petits avec des lances trois fois hautes comme toi
qui leur tombaient des mains gelées et n'oublie pas qu'ils avaient déjà les
doigts meurtris par les coups de règle, quand tu en seras là tu te plaindras,
mouche-toi ! » Encore un malentendu car sans me plaindre et tout de
suite j'aurais pris volontiers les coups de règle en place de sermons ; et
que n'aurais-je donné pour m'ébattre lance au poing dans la neige avec mes
petits camarades, et me couvrir de gloire en mission de chatière pour le bien
commun. Mais ces choses-là n'étaient pas à dire. Il faut préciser qu'en matière
d'éducation le ramollissement des mœurs commençait à sévir dans une famille
pourtant fort à cheval sur les principes. Les claques et les fessées n'étaient
plus administrées qu'en ultima ratio.
On allait même jusqu'à s'indigner qu'en plein vingtième siècle, et à peine
commençait-il qu'on le disait dans son plein, on pût voir encore des martinets
en grappes aux devantures des bazars. Dans la conversation des mères j'entendais
professer que les châtiments corporels offensaient la dignité des enfants. Trop
petit pour me représenter clairement ce qu'était une dignité je la voyais alors
comme une petite chose bien fragile pour exiger tant de soins. Mais Dieu merci
les enfants entre eux ne tardent pas à savoir que la dignité se révèle dans les
coups et dépérit dans les ménagements.
La vie de pension dans les collèges du XIXe siècle est un
sujet abondamment traité par tous les écrivains qui en ont tâté. Ce n'est pas
mon cas et la condition d'externe au début du XXe siècle, tout
étrangère qu'elle fût à l'idéal permissif, n'avait rien de dramatique. Si la
notion de faute restait vivace le catalogue des sanctions eût fait sourire nos
anciens. Quant aux papas de ces pensionnaires tourmentés, les mêmes auteurs
nous ont chanté l'épopée de leur grimpette à l'échelle sociale et je n'ai pas
la prétention de faire pleurer le lecteur sur la condition des apprentis
bourgeois qui partaient en sabots conquérir le haut-de-forme et sans esprit de
retour. De Louis père de César et de sa belle Nîmoise je sais bien qu'ils ont
connu le besoin, la gêne, les privations, l'insomnie, toutes les inquiétudes et
peut-être même entrevu la misère, mais jamais le désespoir. On leur avait
appris tout simplement que la vie est un passage difficile mais qu'à défaut de
sainteté la fierté les empêcherait toujours de tomber plus bas que terre. (...)
Raisons de famille
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