jeudi 28 mai 2015

Réforme du collège

(...) Quelques années plus tard, le problème des études, mais à Lyon les bonnes écoles ne sont pas gratuites. Mal conseillés ils envoient le jeune César à Nantua dans une école de pauvres où le régime est celui d'une maison de force, le biribi de la pédagogie. Toutes les noirceurs que nous prêtons généreusement à cette époque, et souvent comme le stropiat se moque du bossu, ne sont quand même pas entièrement légendaires. Mais patience : encore un siècle et demi et la condition scolaire deviendra si clémente que sous l'œil attendri des humanistes en carmagnole nos chérubins finiront par se libérer d'on ne sait quoi en attendant la botte qui reviendra d'on ne sait où, vieille histoire. C'est le mouvement alternatif, oppression dépression, le flux le reflux, l'ange et la bête, la respiration des sociétés. Ainsi nous en sommes aujourd'hui à murmurer entre nous que l'école de Nantua n'était peut-être pas absolument néfaste, que son retour hélas est au moins possible et que nous verrons alors les bâtons du retour empoignés par les libéraux eux-mêmes saisis de passion férulaire.
De la pension du petit César nos parents conservaient pieusement quelques traits à l'usage des enfants qui auraient eu tendance à douter de leur bonheur : « Mange tes carottes et tais-toi, pense au grand-père Roque devenu si maigre et affamé qu'il se glissait la nuit par une chatière pour ramasser les croûtons dans le réfectoire et les partager avec ses petits camarades. » Ou encore : « Imagine-toi que dans la pension du grand-père Roque les grands faisaient l'exercice dans la neige avec de gros fusils glacés et les petits avec des lances trois fois hautes comme toi qui leur tombaient des mains gelées et n'oublie pas qu'ils avaient déjà les doigts meurtris par les coups de règle, quand tu en seras là tu te plaindras, mouche-toi ! » Encore un malentendu car sans me plaindre et tout de suite j'aurais pris volontiers les coups de règle en place de sermons ; et que n'aurais-je donné pour m'ébattre lance au poing dans la neige avec mes petits camarades, et me couvrir de gloire en mission de chatière pour le bien commun. Mais ces choses-là n'étaient pas à dire. Il faut préciser qu'en matière d'éducation le ramollissement des mœurs commençait à sévir dans une famille pourtant fort à cheval sur les principes. Les claques et les fessées n'étaient plus administrées qu'en ultima ratio. On allait même jusqu'à s'indigner qu'en plein vingtième siècle, et à peine commençait-il qu'on le disait dans son plein, on pût voir encore des martinets en grappes aux devantures des bazars. Dans la conversation des mères j'entendais professer que les châtiments corporels offensaient la dignité des enfants. Trop petit pour me représenter clairement ce qu'était une dignité je la voyais alors comme une petite chose bien fragile pour exiger tant de soins. Mais Dieu merci les enfants entre eux ne tardent pas à savoir que la dignité se révèle dans les coups et dépérit dans les ménagements.
 
La vie de pension dans les collèges du XIXe siècle est un sujet abondamment traité par tous les écrivains qui en ont tâté. Ce n'est pas mon cas et la condition d'externe au début du XXe siècle, tout étrangère qu'elle fût à l'idéal permissif, n'avait rien de dramatique. Si la notion de faute restait vivace le catalogue des sanctions eût fait sourire nos anciens. Quant aux papas de ces pensionnaires tourmentés, les mêmes auteurs nous ont chanté l'épopée de leur grimpette à l'échelle sociale et je n'ai pas la prétention de faire pleurer le lecteur sur la condition des apprentis bourgeois qui partaient en sabots conquérir le haut-de-forme et sans esprit de retour. De Louis père de César et de sa belle Nîmoise je sais bien qu'ils ont connu le besoin, la gêne, les privations, l'insomnie, toutes les inquiétudes et peut-être même entrevu la misère, mais jamais le désespoir. On leur avait appris tout simplement que la vie est un passage difficile mais qu'à défaut de sainteté la fierté les empêcherait toujours de tomber plus bas que terre. (...)
 
Raisons de famille

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