Si je m'attarde un peu sur le thème anglais, c'est que j'ai encore sur le cœur une partie de rugby, à Colombes, en 1952 je crois, où l'Angleterre nous a battus par six à trois. En réalité nous fûmes battus par l'arbitre qui était britannique et je n'en démordrai pas parce qu'il n'y a aucune raison pour que je me résigne en silence au verdict d'un juge anglais. Que la République honore la reine Elisabeth comme la fée des démocraties ou bien cajole sa petite famille comme le tendre souci des foyers français, ça la regarde et franchement je n'y peux rien ; mais à Colombes je veux me permettre d'aller conspuer l'arbitre jusqu'aux vestiaires, en lui prêtant la tête de Churchill, trop heureux d'entendre une clameur qui sonne à mes oreilles comme le témoignage rarissime de l'unanimité française ; on ne rate pas ces occasions-là. Et qu'on ne vienne pas me raconter que nos spectateurs sont aveuglés par le chauvinisme. Le public parisien est le plus juste et le plus courtois que je connaisse. Donc, au moment où les Anglais allaient s'en tirer avec une partie nulle pas très reluisante, l'arbitre, sur une décision typiquement arbitraire, leur offrit, trois minutes avant la fin, un de ces petits coups francs sur mesure et dans la poche, comme le moins adroit de mes lecteurs ne pourrait pas en rater, même si le muscadet lui faisait voir deux ballons et quatre poteaux. Depuis que les Français jouent au rugby avec les Anglais, ils se font arnabitrer par un arbritish sous prétexte que le ballon ovale est une exclusivité anglaise tolérée en France, et il nous faut en passer par là. Bon, je suis un petit peu chauvin, c'est d'accord, mais juste autant qu'il est permis pour corser l'émotion de ces tournois ; n'empêche que, depuis quelques temps, il nous tombe dessus un peu trop de coups francs. Sans être un grand technicien du rugby ni connaître à fond la psychologie du sportif et encore moins le for intérieur des arbitres, voilà comme je me représente l'âme d'un arbitre anglais : d'une part il a été élevé dans la conviction de base que le Français, frappé d'ignorance congénitale et incurable des règles du rugby, ne peut que chercher à faire valoir son génie bien connu de truqueur total ; d'autre part, conviction non moins établie que n'importe quel joueur britannique se trouve placé de naissance et à jamais sous la garantie du fair-play qui est un postulat de fabrication anglaise entretenu par une publicité mondiale.
Chroniques, Arcadia Editions, Paris, 2005
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