Du 29 avril au 3 août le Centre Pompidou consacre une exposition à l'architecte et urbaniste Charles-Edouard Jeanneret, dit LE CORBUSIER. Avant de vous y rendre, une petite mise en jambe s'impose.
La maison du fada
La maison
marseillaise de M. Le Corbusier revient une fois de plus à la surface de
l'actualité, et comme il s'agit d'un dada personnel je m'empresse de
l'enfourcher. On ne parle jamais mieux que de ses dadas. Je suppose que la
fameuse bâtisse, pour des raisons de finance ou de prestige, a eu besoin d'un
petit coup de tambour ; elle a rappelé aux bonnes gens que ses appartements
étaient soldés 3.500.000 et convoqué une sélection d'esprits distingués pour
leur renouveler l'assurance qu'il s'agissait bien d'une expérience urbanissime,
extraordinaire autant que prophétique.
Qu’elle soit
prophétique, non seulement on s'en fiche mais ce serait déjà une bonne raison
pour la mettre par terre. Les précurseurs deviennent de plus en plus
indésirables. C'est déjà assez que le coup dur arrive à son heure sans que les
olibrius fassent du zèle et nous en proposent des avant-goûts. Par le temps qui
court il faut avoir une belle dose de fanatisme ou d'imbécillité pour se
réjouir d'une anticipation quelconque. De tout ce que peut contenir l'avenir,
rien ne presse, croyez-moi ; non seulement la pente accuse un pourcentage
inquiétant mais la descente n'a pas l'air de se terminer sur la mousse et
quiconque appuie sur l'accélérateur a des intelligences avec la catastrophe.
Dieu merci,
Marius préfère le cabanon ; il flaire que le jour où tout le monde sera
casé dans les alvéoles du grand guêpier corbus, la condition humaine aura fait
un pas décisif vers l'admirable civilisation des communautés fourmillantes et
termiteuses. La race humaine aura retrouvé le grand secret des instincts
arthropodes et sera délivrée des minables errements de l'homme libre. On dit
que tel est probablement notre destin et c'est déjà mauvais signe que de le
dire. Quand bien même ce le serait, on est encore libre de penser que c'est un
fichu destin, et de museler les pécores obtuses et triples corbuses qui
s'amusent à nous chanter les beaux blocs du casernement futur.
Où l'on voit
bien qu'il s'agit d'un piège c'est que la bâtisse fut d'abord annoncée sous le
nom de Cité Radieuse. On n'y a pas vu malice, au contraire, c'était un peu
clinquant, mais aguichant tout de même, et les bonnes gens se sont réjouis de
la cité radieuse sans se douter qu'il s'agissait d'un faux nom. Quand la
carcasse a pris la tournure qu'on sait, le grand architecte a dévoilé le vrai
nom de son machin : Unité d'Habitation Conforme. Ça a jeté un froid. On
annonce la kermesse et on inaugure le bloc numéro 1 du camp de concentration.
Vexés, les Marseillais n'ont pu mieux faire que d'envoyer un sobriquet à ce
pataquès aussi pas beau que louche : la Maison du Fada, et c'est sous ce
nom que la corbusière anticipatrice fera son entrée dans l'âge d'or de
l'urbanisme tératologique. Si seulement le grand architecte était un vrai fada,
au sens provençal du mot, il aurait droit à notre sympathie et, au besoin, à
nos encouragements car le monde commence à manquer de vrais fadas de bon aloi.
Mais Le Corbusier n'est pas un vrai fada.
Bien
entendu, je ne mets pas en doute le génie inventif du maître et je crois
volontiers que son machin est rempli de trouvailles. Il y a des trouvailles
qui, sorties de la planche à dessin et de l'architecture amusante sont bonnes à
mettre en dossier ou au panier. L'invention du biologiste allemand qui, l'autre
jour, a trouvé moyen de fabriquer des frères siamois artificiels est des plus
intéressantes mais on ne tient pas à la voir sortir du laboratoire. Sans doute
le savant est-il à juste titre orgueilleux de sa trouvaille et sera-t-il
complimenté par ses collègues, mais s'il veut placer à coups de trompettes sa
production de frères siamois, s'il prétend que l'avenir appartient aux frères
siamois, on lui demandera instamment de consacrer son art à des fraternités
plus traditionnelles.
On pense
quelquefois que je suis hostile au progrès, mais pas du tout, ce serait idiot.
J'aime le progrès. Je n'y crois pas beaucoup mais
je l'aime, non tel que les hurluberlus ou les coquins nous le serinent mais tel
qu'il pourrait satisfaire aux vœux innocents du brave homme lequel n'a
certainement pas pour idéal d'habiter les grands clapiers rationnels de la cité
radieusement concentrationnaire, ou, comme le dit joliment Le Corbusier :
rétrécie. Qu'on le veuille ou non, l'homme du XXe siècle, avant ou
après J.-C., reste fidèle à son rêve d'habiter une petite maison à lui, d'y
loger sa petite famille, d'y faire un feu qui se voit et d'ouvrir la porte à
ses amis qui arrivent par la route et non par l'ascenseur. Il a le goût du
plain-pied, il aime la terre, il veut que sa maison soit posée dessus et non
suspendue au grand perchoir collectif. Il veut son toit à lui pour y inviter
qui bon lui semble. La cité radieuse et monobloc il s'en moque, il veut que la
population soit comptée par feux et que toutes les fumées ne sortent pas par la
même cheminée. C'est alors qu'il pourra nouer avec son prochain un commerce
vraiment fraternel.
Voilà
pourquoi à mon avis les précurseurs de l'école corbisive se mettent le doigt
dans l'œil s'ils se figurent travailler pour le bonheur des hommes.
Il faut
pourtant signaler qu'aux dernières nouvelles M. Le Corbusier, dans une
formule qui l'honore, a déclaré aux représentants de la presse :
« les résultats de l'expérience sont encore insoupçonnés. »
La maison du fada, Aspects de la France, 5 octobre 1951, n°159 (à retrouver dans La République et ses Peaux-Rouges)
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