Le colonel Boumediene est venu s'entretenir des événements
avec El Guid. L'entrevue pouvait être assez délicate. En effet, il y a quelques
jours encore, c'eut été le colonel vainqueur de la glorieuse armée française en
visite chez le général vaincu. Aujourd'hui, c'est un peu différent. Boumediene
est en droit de demander des explications : pourquoi la puissante armée de
la République a-t-elle capitulé devant une bande de fellagas si les méprisables
bataillons d'Israël devaient écraser, en deux jours, l'invincible armée du
Prophète. Mais tout s'est très bien passé, vu la bonne éducation des
interlocuteurs, vu aussi le célèbre magnétisme du Président fakir. Très
détendu, il a pu annoncer au visiteur que le Sinaï, après Evian, serait
consigné comme victoire dans le tome IV de ses Mémoires. Et préciser même qu'il
se sentait de force à garder ses quatre-vingt-dix prisonniers personnels,
quoique Nasser dut rendre les siens, au nombre de trois.
L'entretien, qualifié à bon droit de « satisfaisant »,
s'est poursuivi à bâtons rompus. Il a été question du bel argent des Roumis,
des vilains canons juifs et de la Paix. Je lui mets une majuscule, non à la
manière du socialisme angélique, mais simplement parce que toute chose qui
s'élabore sous le Képi veut de la majuscule. Majuscule également pour le
Tiers-Monde, pacifique poudingue de petites paix minuscules et contrariées dont
notre Bikbachi gaulois fera l'instrument de la Paix totalitaire, préalable à l'œcuménique.
Encore faut-il se le faire demander. Jusqu'ici hélas, tout
s'est, passé par-dessus sa tête ; mais l'affaire prend tournure. Ça coûtera ce
que ça coûtera, mais dans tous les souks, bazars, mosquées, fondouks, harems,
caravansérails, palais, bidonvilles et bousbirs, on murmure, on hurle, on
invoque, on youyoute le nom de De Gaulle, on balade son effigie, on implore, on
exige son intercession gracieuse, et de Mogador à Bagdad le tam-tam lui prépare
un beau chapeau. Personnellement il a déjà donné sa parole, cette parole
incomparablement verbale dont il n'est aucun peuple au monde qui n'ait déjà
fait son miel.
Ainsi le voilà retourné sur le terrain même de ses plus grands
succès, l'Islam est sa bonne étoile. Enivré de tous les parfums de l'Arabie,
stimulé par l'aiguillon de ses cactus, il y retrouvera le plein-emploi de son
génie libérateur. J'en suis quant à moi ravi, n'ayant cessé de dire qu'en
faisant naguère alliance avec l'Islam rouge contre les petits Français de
l'Algérie, notre vieux Rais n'en finirait jamais d'en goûter les délices et la
facture ; et qu'en fin de compte, si par hasard il était mortel, c'est de
Bab-el-Oued qu'il mourrait, non d'une grève du Métro. Mektoub.
Aspects de la France, 15 juin 1967
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