A l'heure où j'écris ces lignes, M. Queuille, après MM. Bidault
et Mollet, essaye de former cette chose que les pince-sans-rire appellent un
gouvernement. Le bon sens nous porte à croire que les personnages susnommés
représentent ce qui se fait de mieux dans le genre homme d'État en IVe
République. C'est la fine fleur des assemblées, la quintessence du ramassis,
les plus beaux coqs de la faisanderie. Ils ont été portés au maroquinat par les
infaillibles remous du bazarlik majoritaire et nous les honorons comme des
instruments familiers au service des « médiocrités faméliques » dont
parlait tout récemment M. Hutin-Desgrées[1].
M. Hutin-Desgrées, député soi-même, commence à s'inquiéter en effet de ces
« médiocrités faméliques qui se glissent dans nos parlements, dont on ne
sait pas d'où elles viennent et moins encore où elles vont ».
Où qu'elles aillent et où qu'elles soient arrivées déjà, ces
médiocrités faméliques, c'est porter une atteinte mortelle aux principes
républicains que vouloir les écarter du noble jeu. M. Hutin-Desgrée, qui feint sans doute de
vouloir sauver la République, propose de conjurer le mal en réduisant le nombre
des parlementaires. C'est le vœu du pays, affirme-t-il. Je n'en sais rien, ces
genres de vœu ne sont jamais clairement exprimés et les Français commencent à
comprendre qu'il n'y a plus personne en France pour entendre et examiner leurs
vœux. En tout cas, si le nombre des parlementaires est réduit à cent ou même à
la douzaine, je me demande ce qui empêcherait les médiocrités faméliques d'y
installer leur majorité. Tel que je vois parti M. Hutin-Desgrées sur le
vrai chemin des réformes constructives, autant qu'il préconise la liquidation
pure et simple du Parlement, en commençant bien entendu par la chambre de réflexion.
Et tant qu'à faire de prêter un vœu au pays, mieux vaudrait tout de suite un
vœu complet et définitif.
A propos de la mission Mollet, j'allais oublier une chose
importante. En période de crise ministérielle, en effet, j'ai l'habitude de
vous citer un texte de base dont l'auteur est M. Vincent Auriol et qui remonte à l'époque où M. André Marie reçut mission de former un cabinet. C'est une
petite coupure que je porte toujours sur moi et dont je fais profiter les amis
que je vois dans la peine ou le désarroi. Pour en éprouver tout le bienfait la
lecture doit être faite avec l'accent :
« Le président de la République l'a préalablement informé
de ses conclusions sur la possibilité d'un programme limité et concret d'action
républicaine nationale et internationale portant sur la nécessité de la
restauration de l'autorité de l'État républicain, sous la loi républicaine,
dans les domaines militaire et civil, et, en outre, sur la stabilité économique
et sociale qui conditionne la stabilité politique et qui, à son tour, a pour
condition la solution urgente des problèmes des prix, des salaires, du
ravitaillement, de la production et de la répartition, de la situation financière
et monétaire qui en est le reflet, sur l'organisation de la défense nationale
et sur la politique extérieure. Le président a ajouté que l'ensemble de ces
questions et des solutions communes délimitait la majorité qui doit être stable
et exigeait un gouvernement vigoureux, solidaire et, pour les postes
essentiels, des caractères inflexibles. »
Voilà le monument ; voilà la fontaine où j'invite mes
lecteurs à se rafraîchir d'une onde limpide et pétillante. En un temps où, plus
que jamais, les paroles sont comptées pour des actes, tout le monde me saura
gré d'avoir transcrit une fois de plus ce document fondamental et roboratif,
véritable digest du génie français qui joint la dignité républicaine à
l'évidence cartésienne.
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