« A l’heure qu’il est j’ignore encore quel postérieur, pléthorique, pointu, serré ou blindé va s’asseoir dans le fauteuil présidentiel.
De toute manière, il va s’asseoir au plus moelleux du fromage républicain qui commence à grouiller un peu sur les bords et s’achemine doucettement vers le terme de son destin.
L’élu, évidemment, ne sentira rien ; il a mûri sous la cloche à fromage et son nez est fait à l’odeur du régime coulant. Il aura été choisi parce que lui-même est un homme fait à cœur, un homme du milieu. Il va présider des conseils interlopes formés de ratés, de couards, de grotesques, de crabes adultes et de jeunes faisans, tout cela ramassé à l’écumoire sur le bouillon parlementaire.
Ne croyez pas que je m’abandonne à la passion polémique. Ce sont là des choses qu’on entend dire partout, dans les salons, dans le métro, dans les clubs, chez les duchesses, au cabaret, chez le dentiste, à l’usine, dans les chemins creux, aux mariages et aux enterrements, dans les foires ,au bal musette, dans l’ascenseur, aux réunions de famille, sous les becs de gaz, par temps de pluie ou ciel bleu, et d’une voix tranquille, un peu fatiguée, car tout le monde est d’accord. Non, cela n’a rien à voir avec la polémique. Quand on observe les symptômes et qu’on décrit les ravages de la dysenterie par exemple ou de la gomme au cerveau, on ne fait pas de la polémique. Si je dis que, depuis près de dix ans, nos assemblées se recrutent dans la lie de la population, que nos hommes d’Etat, quels que soient leurs vices particuliers, constituent une sélection assez homogène d’intellectuellement faibles inutilisables dans le secteur privé, ou que la IVe République est l’objet de la dérision universelle, ne sont pas là des appréciations dictées par l’esprit de parti, mais des vérités d’expérience quotidienne. (…)
Beaucoup de gens ont peine à imaginer l’effrayante nullité de nos élites politiques, et c’est bien compréhensible. Autour de nous, en effet, nous voyons des quantités de Français intelligents, travailleurs, sensés, honnêtes et bien élevés, d’un niveau moral et intellectuel au moins égal à celui de M. Eisenhower ou de M. Churchill, et il faut faire un pénible effort pour imaginer que ces gens sympathiques sont gouvernés chez eux et représentés au dehors par des paltoquets douteux ou des voyous que ni vous ni moi n’oserions sans rougir inviter à notre table.
Nous arrivons maintenant aux ultimes conséquences du système. Il va falloir conclure. De crible en crible le jeu des institutions nous a livré la fine fleur du rebut. Il n’est plus question de s’attarder aux querelles de doctrines, nous voilà au bilan. Evidemment c’est ce qu’on dit à chaque génération. Tout de même, à moins d’envoyer aux prochaines Bermudes un ouistiti baladeur et de faire poser des otaries savantes sur le perron de l’Elysée, il paraît peu probable que la République puisse trouver dans ses tripots, dans ses aériums, ou dans ses faisanderies, un personnel mieux qualifié pour faire injure aux Français. »
Aspects de la France, Vers l’apothéose, n°275, 18 décembre 1953
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