L’hebdomadaire Arts poursuit une enquête sur les jeunes. C’est une enquête consciencieuse et intelligente, mais je trouve qu’on devrait d’abord leur fiche la paix, aux jeunes. C’est corrompre la jeunesse que lui inculquer des préoccupations d’adultes. Notre siècle a pris de la jeunesse une sollicitude alarmante. Il a promu à son intention le mot « jeune » au rang de substantif à majuscule ; il lui a fabriqué des ministères spéciaux, il a même confié des portefeuilles très sérieux à des galopins qui, entre parenthèses, se sont révélés plus dénués d’imagination et plus rabougris dans la doctrine que nos augustes vieillards.
Il y a un engouement, un mythe, une extrapolation snobée, une démagogie, une technique enfin de la jeunesse. On l’a tirée des limbes heureuses pour l’engager dans la congrégation sociale ; le déterminisme historique lui a ouvert pompeusement ses portes. Des prophètes bénis ou cornus lui ont révélé plus ou moins confusément ses aspirations souveraines, ses droits incohérents, ses missions imprescriptibles. La République de Jouvence a découvert que l’avenir appartenait aux jeunes et que ce truisme méconnu aurait des conséquences immédiates et nécessaires. Désormais les jeunes gens formeraient dans l’État, non plus une pépinière hasardeuse au caprice des pères et à la grâce de Dieu, mais une classe organisée, choyée, dûment assurée, attributaire, alignée en solde et loisirs, conditionnée à l’œil socio-électronique.
Le pré-salaire qui sera consenti aux étudiants pour les soulager d’une condition médiévale, et mieux les coincer dans le piège à matricule, sera étendu aux lycéens pubères, en attendant que soient légalement définie la profession de jeune, et promulguée la loi sur la retraite des jeunes, proportionnelle à partir du bachot.
Les niais s’extasient devant la belle gravité de l’étudiant soucieux du lendemain, conscient de son rôle et gouverné par un idéal de sécurité cosmique. Ce jeune homme est un infirme ; on lui a coupé les jarrets. L’enquête en question nous montre des garçons de dix-huit ans fort inquiets de savoir comment ils vont loger leur petite famille et quel salaire y suffira, compte tenu des avantages sociaux. Voilà une jeunesse de tout repos ; la République apparemment n’a rien à craindre de ce côté-là. Les grèves d’étudiants ont elles-mêmes un petit côté rassurant ; elles témoignent d’un sens social orthodoxe et vigilant. Si leur monôme est un peu turbulent, ce n’est pas qu’ils pincent le derrière des filles, puisqu’ils sont tous fiancés, mariés, sinon pères de famille ; ce n’est pas non plus, à moins qu’il s’agisse de jeunes arriérés, pour insulter la Chambre des Couards qui laisse invengée la mémoire du capitaine Moureau. Non, c’est pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur l’insuffisance des locaux scolaires ou le taux de remboursement des lunettes.
Aux jeunes candidats à l’École des Mousses, on avait demandé pour quelles raisons ils avaient choisi cette voie. Il s’est trouvé une demi-douzaine de gamins pour répondre à cause de la retraite. Soyons beaux joueurs et saluons ici une des plus belles conquêtes du progrès social.
Tout cela, bien entendu, est éphémère. Si la cité socialiste n’est pas engloutie par le cours sacré de l’Histoire, elle sera la proie d’un bel incendie dû à l’imprudence d’un fumeur ou à un court-circuit entre la nature et la doctrine. Mais la malveillance n’est pas exclue. En ce cas, l’incendiaire sera peut-être un vieillard extra-lucide ; on se plaît davantage à imaginer une bande de copains, providentielle survivance des jeunesses mérovingiennes boutant le feu au grand fichier matriculaire, simple histoire de rigoler.
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