« Tout me disposait à briguer la succession du général de Gaulle : j’avais de la présence et du commandement, le sens de la politique sidérale, un bon coup de fourchette, le don de prophétie, l’art de faire sauter la coupe et de pousser le refrain au dessert, le culte de la vérité latente, le monologue irrésistible, l’œil limpide et fascinateur, toutes les grâces du corps et de l’esprit. Je ressentais en outre cette vocation, cette voix mystérieuse de l’Histoire qui nous appelle à la domination des peuples, nous autres caporaux. Les amis me pressaient : il serait temps, disaient-ils, que le génie retenu dans vos deux galons de laine balayât du deux étoiles dont l’écrasante modestie à cessé de nous épater.
Sans plus résister à ces marques de confiance, j’avais donc posé ma candidature, discrète, et pris mon souffle pour une entrée en campagne assez fracassante. L’éloquence était mon arme secrète. Prudent, je n’avais de ma vie parlé que trois fois en public et bien rares étaient ceux qui pouvaient témoigner de ma puissance de tribun. L’effet de surprise allait confondre l’ennemi. Hélas ! je n’avais pas encore ouvert la bouche, venant à peine de poser ma plume de chroniqueur léger, que le facteur des recommandés me présentait un papier bleu ciel portant inculpation pour offense au chef de l’Etat. Il en survint comme ça, coup sur coup, une bonne demi-douzaine. C’était plus qu’il n’en fallait pour me rendre inéligible. Ainsi l’adversaire se dérobait-il au combat. Je vous laisse apprécier la qualité de cette carence et la consternation de mes troupes.
Grâce à Dieu, j’avais prévu les accidents et repéré dans le lot de mes concurrents un homme sur lequel je pense toujours ne pas me tromper en disant qu’il a non seulement la volonté mais les moyens de mener jusqu’au bout et à bien une entreprise dont je ne suis pas le seul Français à désirer le succès. J’ajoute que, dans la harangue ou l’exposé, il n’est pas maladroit. Sa manière de vous sortir la vérité sans l’avoir apprise par cœur et devant la glace serait même capable de réveiller le public endormi par sept ans de mensonges récités. Je lui ai donc aussitôt passé mes chances. Ecartant les offres qui m’étaient susurrées par ailleurs, sinécures, ponts d’or, et petits fours, j’ai fait don gratuit à Tixier-Vignancourt des onze voix dont je m’étais assuré par serment – onze amis absolument sûrs dont trois gaullistes férocement repentis, un capitaine clandestin, deux épurés du premier règne, deux radicaux cocardiers et trois réfractaires de la messe en français, tous unis comme au front. Je lui ai donné également, s’il en était besoin, la leçon qui me fait inéligible.
D’aucuns m’ont demandé dans le tuyau de l’oreille si je n’avais pas stipulé, en clause secrète et en cas de succès, un désistement éventuel au bénéfice de Mgr le comte de Paris. Il n’en a même pas été question et quant à moi, pour des raisons diverses, je préfère qu’il n’en soit pas question. C’est le petit côté faiblard de mon sens politique : je suis devenu, sous la pression des circonstances, grand amateur de situations nettes.
Depuis que je connais T.V. je le vois ennemi du général de Gaulle, patriote comme mon père, antimarxiste et de ce fait obligé de la tradition chrétienne, anticlérical éclairé avec un préjugé favorable pour les longues soutanes, plutôt attentif aux choses de la justice, généreux, brave et gai, mettant de la ferveur où il faut et du calcul où il sied, persuadé enfin que le gouvernement des Français n’exige pas les services d’un géant glacé. Constatant que ces bonnes dispositions n’ont pas varié, quelles se sont plutôt confirmées, je souhaite que le suffrage universel, pour une fois et tout monstrueux qu’il est, lui, se payât un homme qui ne le fût pas.
Et je crois savoir, en plus, mais c’est le renfort d’une petite raison égoïste, je crois savoir que le jour venu, la minute venue, en présence du corps diplomatique et des ombres constituées, T.V. s’approchera du grand gardien relevé d’une garde trop longue pour lui prendre sous la veste le trousseau de grosses clés dont il fera, tout de suite, le bon usage que vous savez, en fanfare s’il plaît à Dieu. »
Texte paru à l'occasion de l'élection présidentielle de 1965
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