Paix à son âme, soit ; à sa mémoire, non, et d’ailleurs il n’y tient pas. Ses amis lui font un ramdam, nous lui ferons sa fête.
Je soupçonne un peu que l’indécence et le grotesque inouï de cette apothéose congolaise a été voulue et organisée de longue date par le mort lui-même et ses barnums. Nous, aussitôt connue la mort du grand Paon, avons dit et fait savoir à nos proches : « Attention ! Un ouragan d’imposture va déferler sur la France, fermez les fenêtres, ça va sentir le soufre ».
Mais les odeurs et les rumeurs ont traversé les murs. M. Lazareff avait bien dit que la terre avait cessé de tourner. Ce n’était plus qu’un gros tam-tam à branler des mensonges. De ces folles journées je n’ai pu retenir que des impressions décousues, les voici.
Un troisième règne est commencé. Je ne parle pas d’un général zombie qui viendrait s’amuser la nuit à jouer le tracassin parmi les successeurs. C’est d’un autre Elysée qu’il s’agirait de forcer la porte. Circonvenir le tribunal de l’histoire et lui dicter son jugement. Autrement dit c’est le dernier processus qui démarre en conclusion du programme rédigé de son vivant et de sa main dans Le Fil de l’épée, où il est dit que l’important ici-bas est de se faire un nom que la postérité retienne. Je crois qu’il sera servi au-delà de ses espérances.
Le voici déjà plus menteur mort que vivant. Tout fumants de fable et de flagorneuse hyperbole, mille cantiques et mille oraisons lui ont fait chauffer son dernier bain de foule. A bien écouter l’immense rumeur elle donnait parfois une étrange impression de liesse et de soulagement, tant il est vrai qu’à ce niveau, la douleur a les accents de l’enthousiasme, et tant il est vrai que la mort est une libération.
On suffoquait dans le pathétique hallucinogène. Les encensoirs vomissaient le soufre en panaches. Venus des abîmes de la bassesse toutes les variétés du galimatias sublime célébraient en gémissant le gigantesque défunt où s’incarnait le génie de la France. Il n’y avait plus en effet qu’à mourir après ça, et M. Druon n’en était pas loin, étouffé par son pathos.
De tous les coins de l’hexagone on avait réclamé un grand concours de chaudes larmes. Les populations accourues n’auront pu moins faire que pleurer comme des veaux en hommage à celui qui se plaisait à les conduire comme tels. Quel gâchis de larmes. Tant de larmes innocentes pour la réclame du gang. Et en plus la révélation de ce général planétaire doublé d’un poète à ses heures : la mélancolie des frondaisons automnales dans les puanteurs de l’épuration, le myosotis éclos sur le bourbier, le bouquet printanier du scélérat bucolique. Ah ! si le maréchal avait pu savoir, et Brasillach et Degueldre et les égorgés, les suppliciés, les piétinés, les injuriés, s’ils avaient pu savoir de quelles marguerites effeuillées on recouvrait leur mémoire, là-bas, dans le parc.
Et en plus le 11 novembre, la flamme, le soldat inconnu complètement désarticulé, le pauvre, à force de se retourner dans la tombe.
Jour de deuil, drapeaux en berne, ils ont l’habitude. Pour nous le jour de deuil s’est levé plus ou moins incognito le 18 juin 1940. Il s’est confirmé en 1945. En 1958 nous avons chanté le Dies irae. En 1962 nous avons pris le crêpe que nous portons encore, et l’illustre gardien de la parole a beau mourir nous n’irons pas en consolateurs sur les charniers de harkis éparpiller ses cendres. S’il en est parmi vous qui ont sablé le champagne, Bastien Thiry n’était pas de la fête. C’est une mort gaulliste, elle nous rit au nez. Il fallait la lui donner avant qu’il n’allât se laver les mains dans l’encrier de ses mémoires. Quand on a laissé le malfaiteur mourir de sa bonne mort en se tirant les cartes au coin du feu, sa dépouille ne vaut pas qu’on aille danser dessus. Mais sa mémoire il ne faudrait pas la rater. L’idole fait caution du gang et nous aiderons l’histoire à la déshabiller de sa légende.
La place de l’Etoile, c’est bien, très bien, mais à la longue le voisinage du troupier peut devenir agaçant. Le conseil municipal ajouterait un grand prestige à l’unanimité qui le caractérise en votant la permutation. Dirigé sur quelque ossuaire où la paix lui serait enfin donnée, l’inconnu céderait la place et l’honneur du général bien connu serait ainsi ranimé tous les soirs.
En couronnement de tout ça, le cardinal Daniélou nous a remplis d’un espoir fou que la décence ne me permet pas de formuler ici. Disons seulement qu’à l’appui de ce vœu éblouissant Moscou a aussitôt fait savoir que le grand serviteur de la France et de Dieu serait ipso facto promu héros de la République soviétique.
Tout cela nous montre assez qu’à partir d’une certaine densité, le mensonge a non seulement les propriétés du soufre mais les effets de la marijuana. Et Dieu sait de quel vent, demain matin, l’histoire nous aura balayé tout ça.
Aspects de la France, Ras le bol…, 19 novembre 1970, N°1157
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