On commence à savoir qu’à Bab-el-Oued, au cours de l’opération
dite de Vigilance Républicaine, le nombre de Français tués par les forces de l’ordre
gaulliste a dépassé 150. Les blessés en proportion. Rappelons que ce faubourg
est habité par une population de riches nazis déguisés en ouvriers patriotes.
Son attitude outrageait à la solidarité prolétarienne.
Votez oui pour le restaurateur de l’unité française épurée
dans son hexagone.
En dépit des louables efforts du gouvernement pour présenter l’exploit
avec humilité, on commence à saisir la besogne qui se fit derrière le bouclage
et sous le bâillon. Tandis que les tireurs d’élite ajustaient les ménagères, le
ratissage et la fouille s’effectuaient avec une telle énergie que les Musulmans
eux-mêmes n’en croyaient pas leurs yeux. Ainsi Bab-el-Oued, ramassis de
salariés fascistes, ne se vantera plus bêtement d’avoir donné ses fils pour le
salut de la République et la libération de l’Alsace.
Votez oui pour le justicier des cités orgueilleuses.
On savait déjà que des avions militaires avaient bombardé à
grenades lacrymogènes une population qui saura désormais pourquoi elle pleure.
On commence à savoir que deux appareils particulièrement consciencieux ont
exécuté des tirs à mitrailleuses sur une population qui avait encore à
apprendre sur la haine des renégats. Le nom de ces aviateurs audacieux sera
porté à la reconnaissance du peuple français en même temps que le texte de leur
citation actuellement à l’étude.
Votez oui pour un chef si bien servi.
On commence à savoir que, peu après, la fusillade de la rue d’Isly, a fait 140 morts dans un
cortège qui, par un odieux et vain stratagème, avait pris une apparence de
procession familiale, comme si la vue de femmes et d’enfants pouvait détourner
de leur devoir une compagnie de travailleurs au service de la fatalité
historique. Le nom des officiers sera porté à la reconnaissance du peuple
métropolitain en même temps que le texte de leurs citations actuellement à l’étude.
Les drapeaux français capturés ou ramassés sur le terrain seront prochainement
exposés dans la chapelle de l’Elysée.
Votez oui le rassemblement des enfants de la Patrie.
On commence à savoir que, contrairement aux informations d’un
pouvoir trop beau joueur, ce ne sont pas des pieds-noirs postés sur de lointaines
terrasses qui ont déclenché le tir. C’est bien à l’armée régulière gaulliste que
revient l’honneur d’avoir ouvert le feu, feu roulant, chargeur sur chargeur. En
outre, des constats ont été rédigés, photocopiés et mis en sûreté, par lesquels
il est prouvé que la plupart des morts ont été frappés dans le dos ce qui
établit sans discussion le délit de fuite.
Votez oui pour le vainqueur de la nouvelle Isly.
On se doutait bien que la vengeance gaulliste, atténuée par
des informateurs trop soucieux de la modestie du pouvoir, s’était abattue en
réalité avec toute la rigueur caractéristique des répressions républicaines,
Mais on commence à savoir que M. Thiers fera figure de justicier
pusillanime.
Votez oui pour le père du peuple.
Enfin nous savons que M. Ben Khedda, en son conseil, a
décerné publiquement un satisfecit à l’armée française laquelle, dit-il, a
suscité l’étonnement des observateurs par « l’heureuse rapidité de sa
métamorphose ». Confondue par cet éloge sans précédent qui consacre le
terme de sa glorieuse histoire, l’armée française ne songe plus qu’à regagner
ses foyers dans le silence qui convient aux héros de l’obéissance absolue.
Vous donnerez aussi votre satisfecit au plus illustre des
Français, le seul qui puisse nous délivrer de ces millions de Français dont l’amour
obstiné nous fait honte et nous blesse.
Votez oui, et que le nom français désormais soit porté par la
nouvelle race de Caïn.
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