Parmi les
tranquillisants politiques utilisés au cours des âges et par tous les régimes
nous citerons pour mémoire la potence, la hache, la dague, le poison, le cachot
déjà étudié dans un précédent chapitre, le bannissement, le pilori, les archers
du roi, les dragons de Villars, etc. Toutes ces spécialités d'apparence
archaïque sont encore en usage plus ou moins constant et avoué dans le monde
moderne.
En revanche nous
observons que le tranquillisant neurotomique, si en faveur dans les temps mérovingiens
et les cas d'anxiété dynastique, est tombé en désuétude avec les dynasties
elles-mêmes. Nous citerons l'exemple fameux des enfants de Clotaire popularisés
sous le nom d'énervés de Jumiège. Mutilés au jarret pour la tranquillité de
leur famille ces petits princes furent soustraits du même coup aux mille tracas
de la vie active. L'appellation qui les a rendus célèbres ne leur fut pas
donnée par antiphrase ou humour noir. Les énervés de notre temps hélas !
n'ont rien de commun avec ceux d'autrefois. S'il nous plaît aujourd'hui de
n'entendre plus qu'un langage si dégradé qu'il en renie parfois ses raisons
premières, nos aïeux n'avaient pas peur de s'expliquer à la loyale avec des
mots bruts en pleine possession de leur sens propre. Au cas où il existerait
encore dans notre vocabulaire quelques termes vieillissant oubliés dans une
acception hors d'âge et aspirant à la retraite, nous profitons de l'occasion
pour lancer l'appel suivant : mots inquiets de votre pouvoir, mots fatigués de
servir au propre, mots surmenés dans vos emplois d'origine, mots anxieux de vos
responsabilités, confiez-vous au sens figuré, le meilleur des tranquillisants
grammaticaux.
Des exemples
cités plus haut vous avez conclu, avec chagrin peut-être, que la tranquillité
politique était consécutive à la répression des fauteurs de trouble.
Médicalement cela tombe sous le sens. Toutefois il semble que des apaisements
aient été obtenus avec les fontaines de vin, les tableaux d'avancement, les
dotations d'abbaye, les promotions exceptionnelles, les sacs d'écus et les
feux d'artifices. Tous procédés qui, eux non plus, n'ont pas entièrement
disparu de nos mœurs.
Je ne saurais en
finir avec ces médications politiques anciennes sans faire mention du
tranquillisant conventuel. En effet, la dignité de la couronne, ou même la
fermeté du trône sinon la paix du royaume a pu quelquefois se trouver bien
d'une vocation monastique plus ou moins spontanée. Au besoin, une escorte de
cavaliers s'offrait à confirmer l'arrêt de la Providence jusqu'au seuil du
couvent. C'est à bon droit qu'aujourd'hui la conscience moderne a pu condamner
cette pratique du tranquillisant spirituel administré par contrainte ou
surprise.
Si nous
considérons en effet les moyens employés de nos jours pour calmer l'anxiété ou
l'agitation des citoyens, nous ne pouvons qu'y reconnaître un souci constant de
la dignité humaine. En prenant pour exemple une campagne électorale ou un
compte rendu de mandat, nous voyons que l'apaisement collectif peut être obtenu
soit par d'honnêtes infusions de lieux communs, soit par la tranquille affirmation
que l'homme est bien fait pour marcher sur la tête. Dans les cas urgents la
médication allocutoire agira plus sûrement si les paroles intelligibles sont
remplacées par une large application de trémolos sédatifs.
Rappelons
également que certaines manifestations émotives provoquées par l'épanchement
d'un scandale purulent sont justiciables d'un conseil médical appelé commission
d'enquête qui, à loisir, met au point le tranquillisant spécifique à base de
lampiste. On sait d'autre part que les cas de prurit chronique sont ordinairement
traités par les entreprises de presse, merveilleusement habiles à gratter la
clientèle où ça la démange. Enfin, pour ce qui est des nombreux tranquillisants
à base de scrutin, nous nous bornerons à citer le référendum, vieille recette
que les techniques modernes ont immunisée contre toutes supercheries.
Il va de soi que
les périodes de crise réclament des tranquillisants exceptionnels. On ne les
trouve pas dans le commerce car leur formule est généralement assez riche en
ingrédients toxiques. Toutefois, élaborés sous le sceau de la raison d'État,
ils procurent à ceux qui en font usage une conscience relativement tranquille.
Texte tiré des huit textes écrits en 1954 pour les laboratoire Dausse, servant de support de publicité au "sédatif équilibrant Olympax".
Textes illustrés par Georges Beuville.
Textes illustrés par Georges Beuville.
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