« Quand
on parle d'échanges touristiques, cela veut dire que le touriste propage sur
lui-même un certain contingent d'idées fausses et qu'il remporte sur autrui une
quantité égale d'impressions vicieuses. Assez de balivernes sur les voyages qui forment la jeunesse
; c'est une
formule moyenâgeuse qui donnait de bons résultats avec des locomotions
moyenâgeuses.
Le voyage pour tous est une institution burlesque. Sur cent voyageurs il y a quatre-vingt-dix sédentaires et il n'est jamais bon que les sédentaires prennent la route. Ce n'est pas que je méprise les sédentaires, beaucoup s'en faut, je les admire, je les chéris, je les conjure de rester fidèles à leur mission, solides au poste, car ils sont la joie, l'alibi et la raison des voyageurs. Pas la peine de voyager s'il n'y a plus l'espoir de secouer sa poussière ou de se chauffer le derrière chez les gentils sédentaires quela Providence a placés le
long des routes pour faire le pain du voyageur et lui servir à boire en
écoutant ses histoires. Et voilà qu'aujourd'hui
les sédentaires infidèles se payent des
voyages au Cap, des ouiquennes à Marrakech, des brevets de voyageur
enfin, et qu'ils se les payent au sens le plus vénal du mot, comme on se payait jadis des quartiers de noblesse ou naguère des certificats de résistance ; c'est de la simonie. Dix mille kilomètres,
pas une chemise mouillée, pas une ampoule au pied.
Ce disant je n'exhale pas le dépit du voyageur écoeuré par la vulgarisation des voyages, car je ne suis après
tout qu'un voyageur dérisoire, suspect,
anxieux de l'étape et il se pourrait qu'en traînant ici et là, naguère, bon gré mal gré, je n'aie promu sur les
routes qu'un sédentaire honteux, pour lui faire les pieds. Hélas ! la peau
des pieds est longue à durcir, prompte à mollir, mais j’ai tout de même
quelques souvenirs de pieds qui me cuisent assez pour envisager d’écrire
aujourd’hui, les pieds à l’aise, une somme apologétique à la gloire des panards
fumants et des nougats meurtris. »
Le voyage pour tous est une institution burlesque. Sur cent voyageurs il y a quatre-vingt-dix sédentaires et il n'est jamais bon que les sédentaires prennent la route. Ce n'est pas que je méprise les sédentaires, beaucoup s'en faut, je les admire, je les chéris, je les conjure de rester fidèles à leur mission, solides au poste, car ils sont la joie, l'alibi et la raison des voyageurs. Pas la peine de voyager s'il n'y a plus l'espoir de secouer sa poussière ou de se chauffer le derrière chez les gentils sédentaires que
Chroniques, Arcadia Editions, Paris, 2005
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