"L'espace est difficile mais il vaut le coup. Nous allons persévérer et avancer ensemble" a réagi le milliardaire Richard Branson après le crash vendredi 31 octobre, du Virgin Galactic. Cet événement nous rappelle que dès 1953, Jacques Perret s'interrogeait déjà sur les possibilités des vols supersoniques...
Le nouvel avion anglais Avro Vulcan mettra
New York à 5 heures de Londres et fera trois voyages par jour. Avant
d’aller plus loin je note que cet avion du type aile-volante affecte exactement
la forme que nous donnions jadis, étant gamins, à certains modèles de nos
aéroplanes en papier. Nous avions chacun des secrets de fabrication, des formules
de pliage, des prédilections de matériau, les uns récupérant leurs vieux devoirs
sur papier écolier, les autres ne craignant pas d’arracher les pages blanches
du cahier d’histoire ou concevant leurs prototypes sur papier rose du catalogue
Félix Potin ; peu importe, c’est un fait que la formule aile-volante était
déjà inventée, mise en service et construite en série par les gamins de ma
génération et que ces appareils traversaient la classe en diagonale et en moins
de temps qu’il n’en faut pour attraper deux heures de consigne. Mais, comme
toujours, les grandes personnes nous ont fauché nos jouets pour en faire de
prétentieux engins bassement utilitaires.
Pour en revenir à l’Avro Vulcan et à ses prouesses
annoncées, je dois dire que, vu le peu de volume de mes affaires
internationales, ce nouveau service ne m’intéresse pas beaucoup. Je me demande
même si j’aurai toujours envie d’aller à New York. Nouillorque à cinq heures de
la rue Mouffetard, ça ne vaut plus la peine de se déranger, ou alors tant qu’à
faire j’attendrai un peu que le voyage soit réduit à cinq minutes et
même à cinq minutes à rebours car j’envisage de me renseigner sérieusement sur
les chinoiseries de la relativité qui permettent au voyageur moderne de tirer
tous les profits et agréments de ces rapidités insolites. J’ai appris en effet
que, sur cet avion, le client parti de Londres à 8 heures du matin, ayant pris
son briquefaste, arrivera le même jour à New York à huit heures du matin, donc
pour commander son légitime briquefaste avec l’impression très nette qu’il
coïncide avec le premier. Il se demande alors pourquoi il est parti puisque New
York était à Londres et il reprend l’air aussi sec pour aller se poser à
Croydon où il arrive bien entendu le même jour à huit heures du matin pour
s’attabler comme de juste devant le briquefaste habituel avec une agréable
impression de satiété. Mis à part le resquillage des petits déjeuners, je ne
vois d’autre avantage à ces déplacements qu’une réclame pour l’absurdité
existentielle. Quand on aura réduit, par le traitement supersonique, la surface
de la terre à celle d’une bille, il est à prévoir que surgiront de nouveaux et
délicats problèmes, sans parler des anciens qui, par compression, auront pris
une densité alarmante. Je vous dis cela un peu en l’air et à vue de nez, en
homme qui a été élevé dans l’idée que New York était à dix jours environ de
navigation et dont la jeunesse a été formée par la durée des voyages, à une
époque où le temps et l’espace vivaient encore sur des protocoles
millénaires ; ce n’est donc pas en trois minutes que je vais m’habituer à
leur dénonciation. Mais je répète qu’en potassant Einstein, Izidore Izou, Jules
Verne, Popof, le Reader Digest et Ferdinand Lop, j’espère à la fois moderniser
ma connaissance, réformer mes instincts, médiatiser les données de ma
conscience, de manière à jouir pleinement de mes droits au bénéfice de la relativité,
apprécier les petits profits du genre triple briquefaste et même ses mirifiques
aubaines sur le plan de la métaphysique, de la morale, de la vélopsychie et de
la cosmolaïcité.
Dans le domaine des applications pratiques de la relativité
à la base de déplacements surréalistes, il est à craindre que la Russie ait une
grosse avance sur la technique occidentale. Sans parler des récentes exhibitions
de relativité justicière, M. Thorez, par exemple, qui arrive à
Paris alors qu’il était encore à Moscou et qui, tout en restant à Moscou,
rentre à Paris plus vieux de deux ans mais rajeuni de cinquante, a sans doute
pris place dans un de ces avions para-ubiquistes, avec sa serviette bourrée de
consignes non euclidiennes et de dialectique néo-relativiste. Avec de pareils
systèmes, et pour peu que de son côté M Bidault prenne goût à ces ailes
volantes qui permettent la triplication du casse-croûte de huit heures et la
multiplication anticipée de la conférence de presse déjà tenue le lendemain, on
imagine que la conjoncture internationale va devenir excessivement récréative
et, avec un peu de chance, pour la prochaine dernière, nous risquons de voir
signer la paix par des ambassadeurs supersoniques avant que nous soient
retombées dessus, à pleines soucoupes, les relativités atomiques.
Plein gaz, Aspects de la France, 10 avril 1953
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