L'édition 2025 de Miss Univers vient d'avoir lieu, moment propice pour rappeler qu'en 1928, Jacques Perret a accompagné sur le paquebot Le Cuba, les Miss européennes se rendant aux États-Unis pour le concours de beauté The International Pageant of Pulchritude, ancêtre du Miss Univers.
A BORD DU "CUBA"
Avec les plus belles
Les coups de vent jettent le désordre dans les boucles de miss France dont le visage émerge d'un chaos de couvertures et de fourrures. Un peu pâle, elle abandonne sur ses genoux le livre non découpé et, les yeux mi-clos, clignant vers le large, elle pense aux dommages de la fatigue qu'il faudra réparer. Un matelot du pont, passant devant elle, s'attarde à quelque besogne improvisée, jouissant par avance de la jalousie des soutiers.
Miss Belgique fait du footing sur le pont et laisse maltraiter ses ondulations par les alizées irrespectueux.
De bâbord à tribord, escaladant les cordages, se hissant aux escaliers abrupts, elle court après le soleil et trouve le bon endroit pour faire une photo. Elle suppute ses chances scientifiquement, et vous confie en secret : « Là-bas, on me présentera en maillot et miss Angleterre ne s'est jamais présentée qu'en robe. »
Miss Luxembourg sourit à tout le monde, au mousse et au commandant, le long des coursives et derrière les vitres du bar. Quand la mer devient houleuse, on ne la voit plus, elle doit sourire encore dans sa cabine.
Miss Italia est l'aristocrate de la troupe ; elle va, d'une table à l'autre, lisant indifféremment des revues françaises, anglaises et espagnoles. Comme on lui a dit qu'il fallait bien manger pour éviter le mal de mer, elle grignote tout le temps un petit morceau de chocolat. Mais, ayant naturellement le teint pâle et l'air absent, on ne saura jamais si le tangage l'incommode.
Miss Allemagne est la gretchen moderne qui vient de jeter ses nattes par-dessus bord. D'une bonne humeur à peine interrompue par le gros temps, elle ne peut entendre le jazz sans esquisser quelques déhanchements rythmés, ni le solo de violon sans le fredonner avec tendresse.
La señorita Espana, petite et nerveuse, a le même teint que les marins du bord. Elle ne sait courir ni marcher sans danser, et le roulis lui fait improviser des pas inattendus. Ne se faisant comprendre d'aucune de ses concurrentes, elle rit et parle pour elle seule se moque de chacune et de sa chaperonne exubérante, qui porte en son corsage le portrait de Rudolph Valentino. Une course plus audacieuse l'amène parfois jusqu'au pont des émigrants, où parmi les Mexicains enthousiastes, elle discute, rit, se fâche, crie, chante et reçoit avec dignité les ovations bruyantes.
Miss Angleterre préfère le salon de conversation ; elle s'est fait dans un coin un petit home familier où chacun peut lui offrir le thé et contempler son teint transparent. Auprès d'elle vous vous croirez facilement spirituel car elle rit souvent, mais elle a, disons-le,des dents fort belles.
Entre ces sept rivales, aucune jalousie apparente. Elles forment équipe, c'est la beauté d'Europe qu'elles vont défendre ensemble ; une sorte de Locarno plastique les unit entre elles.
Il faut pourtant, entre ces championnes un lien plus réel et, à côté du prix de beauté, il conviendrait de décerner un prix de tact et de doigté au chaperon général qui a la garde d'une si précieuse et sensible compagnie. Le général luxembourgeois chargé de cette mission infiniment délicate est d'une impressionnante sérénité. Consolant l'une, conseillant l'autre, grondant doucement celle-ci, surveillant la pâleur de celle-là, ses réponses sont évasives quand on lui demande où vont ses préférences : « Celle-ci, dit-il, a l'agrément d'un buste irréprochable, mais cette autre a le teint bien séduisant. »
— Et s'il vous arrivait de tomber amoureux de l'une d'elles ?
- Impossible, monsieur, souvenez-vous que l'âne de Buridan est mort de faim entre ses deux rations d'avoine.
Jacques Perret, Paris-Soir, 14 juin 1928